RISKS
and
ABERRATIONS
of
RELIGIOUS
LIFE
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7. Ascèse et renoncement p. 199 |
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Les risques d'une spiritualité poussée à l'extrême p. 199 |
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Prenez en sept fois plus p. 200 |
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Traditionnel ne suffit pas p. 201 |
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Ascèse et pénitence corporelle p. 205 |
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Équilibre p. 208 |
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L'humilité p. 210 |
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Le sacrifice p. 218 |
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La tentation sous apparence de bien p. 220 |
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Le renoncement n'est jamais premier p. 223 |
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Spiritualité de la substitution p. 228 |
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CHAPTER
7 |
7 ASCÈSE ET RENONCEMENT |
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LES RISQUES D'UNE SPIRITUALITÉ POUSSÉE À L'EXTRÊME |
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Leaving the trail while walking in a forest in calm weather does not present a risk: you may get a little dirty, but nothing worse. In a mountain path bordering a precipice the error is no longer permissible. Religious life, if it is fervent, is more like the mountain path. Many errors come from an excess of zeal combined with a lack of discernment. To make novices progress faster we sometimes push beyond the reasonableness of traditional practices, as if we wanted to help a plant grow by pulling on it. What should be docility to the Holy Spirit becomes forced voluntarism. The well-known apothegm of the bow in the Abba Antony series illustrates this well: |
Sortir du chemin quand on marche dans une forêt par temps calme ne présente pas de risque, on se salira peut-être un peu, sans plus. Dans un chemin de montagne bordant un précipice, l'erreur n'est plus permise. La vie religieuse, si elle est fervente, res-semble plus au sentier de montagne. Beaucoup d'er-reurs viennent d'un excès de zèle allié à un manque de discernement. Pour faire avancer plus vite les novices, on pousse parfois au-delà du raisonnable des pratiques traditionnelles, comme si on voulait aider une plante à pousser en tirant dessus. Ce qui devrait être docilité à l'Esprit Saint devient du volontarisme forcé. L'apophtegme bien connu de l'arc, dans la série d'Abba Antoine, l'illustre bien : |
There was a hunter of wild animals in the desert; he saw Abba Antony enjoying himself with the brothers. He was scandalized. Antony, wanting to convince him that it is sometimes necessary to condescend to the brothers, said to him: “Put an arrow in your bow and bend it”. The hunter did. Antony said to him: “Bend it further,” and he bent it further. Again: “Bend it.” The hunter said to him: “If I bend too hard, the bow will break.” The elder said to him: “The same applies to the work of God. If we strain the brothers too much, soon they will break. It is therefore sometimes necessary to condescend to the brothers. Hearing this the hunter was filled with compunction. And having profited well from the old man, he departed. The brothers returned to their residence strengthened. [Review of Pélage et jean, Solesmes, abbaye Saint-Pierre, 1966, n° 13 of the series by abba Antoine] |
Il y avait dans le désert un chasseur d'animaux sauvages ; il vit abbé Antoine qui se récréait avec des frères. Il s'en scandalisa. Antoine voulant le convaincre qu'il faut parfois condescendre aux frères, lui dit : « Mets une flèche à ton arc et bande-le. » Le chasseur le fit. Antoine lui dit : « Bande-le encore », et il le banda. De nouveau : « Bande-le. » Le chasseur lui dit : Si je bande outre mesure, l'arc se brisera. L'ancien lui dit : « De même pour l'oeuvre de Dieu. Si nous tendons les frères à l'excès, vite ils se briseront. Il faut donc parfois condescendre aux frères. » D'avoir entendu cela le chasseur fut rempli de componction. Et ayant bien tiré profit du vieillard, il partit. Les frères revinrent à leur résidence affermis'. [Les sentences des Pères du désert ' • recension de Pélage et jean, Solesmes, abbaye Saint-Pierre, 1966, n° 13 de la série d'abba Antoine.] |
To bend the bow to the breaking point can be done in religious life in many ways. |
Bander l'arc au point de le casser peut se faire, dans la vie religieuse, de bien des manières. |
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Prenez en sept fois plus |
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“This remedy cured me in a week. Take seven times as much and you’ll be cured tomorrow.” Presented in this way, the formula makes you smile. Yet this logic is sometimes applied to the spiritual life. The religious who has taken forty years to obtain a virtue can seek to find a shorter path for the one he accompanies. He does not begin from a bad intention, but this idea does not respect life and its slow development. It can even be dangerous, because elements that can help in the ascetic life are like medicines on the box of which it is clearly indicated: “do not exceed the prescribed dose.” |
« Ce remède m'a guéri en une semaine. Prenez-en sept fois plus et vous serez guéri demain. » Présentée ainsi, la formule fait sourire. Pourtant cette logique est parfois appliquée à la vie spirituelle. Le religieux qui a mis quarante ans à obtenir une vertu peut chercher à trouver un chemin plus court pour celui qu'il accompagne. Cela ne part pas d'une mauvaise intention, mais cette idée ne respecte pas la vie et son lent développement. Elle peut même se montrer dangereuse, car des éléments qui peuvent aider dans la vie ascétique sont comme des médicaments sur la boîte desquels est indiqué clairement : ne pas dépasser la dose prescrite. |
It is not forty years of effort that have given the religious this virtue which has become dear to him; he played his part, of course, but almost all the work is the work of the Holy Spirit which cannot be commanded or accelerated. Long maturations were necessary, he had to deepen in other virtues and other aspects of spiritual life, and he was led on this path much more than he himself led it. God is infinitely patient with us and above all infinitely discreet. His action goes largely unnoticed and can thus give us the illusion that we are doing all the work. |
Ce ne sont pas quarante ans d'efforts qui ont donné au religieux cette vertu qui lui est devenue chère ; il a eu sa part, bien sûr, mais presque tout le travail est l'oeuvre de l'Esprit Saint qu'on ne peut pas commander ni accélérer. De longues maturations ont été nécessaires, il lui a fallu approfondir d'autres vertus et d'autres aspects de la vie spirituelle, et il a été conduit sur ce chemin beaucoup plus qu'il ne l'a conduit lui-même. Dieu est infiniment patient avec nous et surtout infiniment discret. Son action passe largement inaperçue et peut ainsi nous donner l'illusion que nous faisons tout le travail. |
Jesus himself experienced
this slow journey, which leaves us in an abyss of wonder. Over
thirty-three years of life on earth, thirty years of hidden life,
during which nothing special happens: “he grew in wisdom, stature
and grace before God and before men”
( |
Jésus lui-même a connu ce lent cheminement, ce qui nous laisse dans un abîme d'émerveillement. Sur trente-trois ans de vie sur terre, trente années de vie cachée, au cours desquelles il ne se passe rien de spécial : « il grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 52). « Devant Dieu » : cette lente maturation a de la valeur aux yeux de Dieu, sinon le Père ne l'aurait pas choisie pour son Fils. Si nous suivons ses pas, nous ne pouvons pas être plus rapides que Jésus. |
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Traditionnel ne suffit pas |
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Today, young people are often attracted by traditional practices which seem to them a guarantee of security in a constantly changing world. They must learn that this criterion is not enough. A practice, traditional or not, will bear fruit if it is applied at the right time and with the right measure. The important thing is not so much the practice, which is more or less interchangeable, but the wisdom that guides it; and this manifests itself in certain signs, including: the balance of virtues and discretion, the breadth of view that embraces all Christian spirituality with its twenty centuries of history, the quality of listening and respect for the person, and much else. |
Aujourd'hui, les jeunes sont souvent attirés par des pratiques traditionnelles qui leur semblent un gage de sécurité dans un monde qui change sans cesse. Ils doivent apprendre que ce critère ne suffit pas. Une pratique, traditionnelle ou non, portera des fruits si elle est appliquée au bon moment et avec une mesure juste. L'important n'est pas tant la pratique, plus ou moins interchangeable, mais la sagesse qui la guide et celle-ci se manifeste à certains signes parmi lesquels : l'équilibre des vertus et la discrétion, la largeur de vue qui embrasse toute la spiritualité chrétienne avec ses vingt siècles d'histoire, la qualité de l'écoute et le respect de la personne, et bien d'autres encore. |
It is also manifested by
its fruits. Not the quantity like the number of vocations, a sign
which can be misleading, but the growth in the soul of the fruits of
the Spirit, “love, joy, peace, patience, kindness, benevolence,
fidelity, gentleness and mastery self”
( |
Elle se
manifeste aussi par ses fruits. Non pas la quantité comme le nombre
de vocations, signe qui peut s'avérer trompeur, mais la croissance
dans l'âme des fruits de l'Esprit, « amour, joie, paix, patience,
bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » ( |
This growing life offers
another sign of the presence of wisdom. “God does not desire the
death of the sinner, but that he be converted and live”
(Ez 33, 11).
“I have come that the sheep may have life, life in abundance”
( |
Cette vie qui
grandit offre un autre signe de la présence de la sagesse. « Dieu ne
veut pas la mort du pécheur mais qu'il se convertisse et qu'il vive
» (Ez 33, 11). « Je suis venu pour que les brebis aient la vie, la
vie en abondance »( |
This will push him to seek bizarre compensations in registers that are not made for this, such as an overly aestheticized liturgy or hypochondriacal behavior; it can lead to the classic compensations such as passion for work or seeking relationships outside the normal framework; [or] it can lead, on the contrary, to a depreciation of oneself or to acedia. |
Cela va le pousser à chercher des compensations bizarres dans des registres qui ne sont pas faits pour cela, comme une trop forte esthétisation de la liturgie ou une conduite hypocondriaque ; cela peut conduire aux compensations classiques comme la passion pour le travail ou la recherche de relations en dehors du cadre normal ; cela peut aboutir, au contraire, à une dépréciation de soi ou à l'acédie. |
Our humanity was not taken into account. We were told about the fine point of our soul, of our deep heart which alone would enter heaven while we would leave our senses on earth; and therefore we already had to adapt, to have a life at the level of the deep heart, that is to say, intelligence and deep will and the rest didn’t matter. So the senses were completely mortified and in virtue of being mortified there was no longer any life. We are alive, not when we feel alive, but when we no longer feel anything, I gradually felt like a dead tree, like a tree whose branches have been cut. Because of cutting there is only one trunk left and when I talked about it I was told: Really it’s great, there really you are pruned for the sky. So I said to myself: So it’s normal but what’s weird is that I feel less and less alive for this earth. But I was told: It’s normal, it’s the Cross, look at the tree of the Cross, it’s like a dead tree and it’s He Who carries life. But in fact I was not aware of it, but all signs of life were dying out in me. |
Notre humanité n'était pas prise en compte. On nous parlait de la fine pointe de notre âme, de notre coeur profond qui seuls entreraient au ciel alors qu'on laisserait sur terre notre sensibilité et donc il fallait déjà s'adapter, avoir une vie au niveau du coeur profond c'est-à-dire de l'intelligence et de la volonté profonde et le reste n'avait pas d'importance. Donc la sensibilité était complètement mortifiée et à force d'être mortifiée il n'y avait plus de vie. On est en vie quand on se sent vivre, mais quand on ne ressent plus rien, moi je me sentais petit à petit comme un arbre mort, comme un arbre auquel on a coupé des branches. À force de couper il ne reste plus qu'un tronc et quand j'en parlais on me disait : Vraiment c'est formidable, là vraiment tu es émondée pour le ciel. Donc je me disais : Alors c'est normal mais ce qui est bizarre c'est que je me sens de moins en moins vivante pour cette terre. Mais on me disait : C'est normal c'est la Croix, regarde l'arbre de la Croix, c'est comme un arbre mort et c'est lui qui porte la vie. Mais en fait je n'en avais pas conscience mais tout signe de vie était en train de s'éteindre en moi. |
The renunciations demanded probably involved nothing superhuman and consisted of traditional practices, but the accumulation of negative actions made of successive or premature retrenchments exceeds human capacities. |
Les renoncements demandés n'avaient probablement rien de surhumain et consistaient en pratiques traditionnelles, mais l'accumulation d'actions négatives faites de retranchements successifs ou prématurés dépasse les capacités humaines. |
Lack of wisdom is especially marked by an interpretation which rejoices in death by imagining that it will automatically lead to life. It comes down to non-assistance to anyone in danger, with a strange discourse that does not listen to the cry of distress but takes up the image used, that of the tree, to say: “it’s wonderful, you are dying, but Christ is alive.” Is it the nun who gives life to Christ by her death? This is a strange inversion. |
Le manque de sagesse est surtout marqué par une interprétation qui se réjouit de la mort en imaginant qu'elle va conduire automatiquement à la vie. Cela relève de la non-assistance à personne en danger, avec un discours étrange qui n'écoute pas le cri de détresse mais récupère l'image employée, celle de l'arbre, pour dire : c'est merveilleux, toi tu meurs, mais le Christ est vivant. Est-ce la moniale qui donne la vie au Christ par sa mort ? Étrange retournement. |
The drama of this type of
interpretation lies in its materiality. Salvation through Christ
does not consist of a simple paradoxical equation: death = life,
especially when this death is suffered and not wanted. “I give my
life, to receive it again. No one can take it away from me: I give
it of myself. I have the power to give it, I also have the power to
receive it again: this is the commandment I received from my Father”
( |
Le drame de ce type d'interprétation réside dans sa matérialité. Le salut par le Christ ne consiste pas en une simple équation paradoxale : mort = vie, surtout quand cette mort est subie et non voulue. « Je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l'enlever : je la donne de moi-même. J'ai le pouvoir de la donner, j'ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j'ai reçu de mon Père » Ln 10, 17-18). Au coeur de cette dynamique de mort et de vie, il y a toujours l'amour, or pour aimer, il faut exister, il faut croire qu'on est quelqu'un, et qu'on est non seulement capable d'aimer, mais aussi digne d'être aimé. Celui qui ne se croit pas digne d'être aimé ne peut pas aimer non plus, cela lui semblerait complètement incongru, car on ne peut aimer sans désirer l'amour en retour. Et si l'on s'en croit indigne, que faire ? |
It may happen that the person who is causing the damage says: But I never said that! He may never have said it, perhaps never even thought of it, but he passed it on nonetheless. If, through his longer experience, this person has the safeguards within himself, he can sink into his nothingness and think that he is nothing: he knows very well that this nothing is only an aspect of things, that it is only relative to the infinity of God, and that God’s love for him is infinite. But if he now teaches this path to a young soul who does not have the safeguards, who does not yet know that he is loved by God, who has not yet experienced the gift of God, the result can be catastrophic. It’s like a seasoned skier recommending a beginner to take a dangerous slope, telling him: you’ll see, it’s very easy. For him, perhaps – but not for the the other person. |
Il peut arriver que la personne qui est à l'origine des dégâts dise : Mais jamais je n'ai dit cela ! Elle ne l'a peut-être jamais dit, peut-être même jamais pensé, mais elle l'a pourtant transmis. Si, par sa plus longue expérience, cette personne a en elle les correctifs, elle peut s'abîmer dans son néant et penser qu'elle n'est rien, elle sait bien que ce rien n'est qu'un aspect des choses, qu'il est seulement relatif à l'infini de Dieu, et que l'amour de Dieu pour elle est infini. Mais si maintenant elle enseigne cette voie à une jeune âme qui n'a pas les correctifs, qui ne se sait pas encore aimée de Dieu, qui n'a pas encore fait l'expérience du don de Dieu, le résultat peut être catastrophique. Cela ressemble à un skieur chevronné qui recommande à un débutant de prendre une piste noire en lui affirmant : tu vas voir, c'est très facile. Pour lui, peut-être, mais pas pour l'autre. |
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ASCÈSE ET PÉNITENCE CORPORELLE |
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Asceticism and bodily penance offer the first field of application of what has just been said. Too material a vision — such and such a saint has done such and such a thing, therefore it is good — inevitably leads to more or less serious foolishness, so great are the differences in time, place, way of life, culture, and also people’s resistance. It is impossible to give universally valid rules for all. Wisdom consists precisely in knowing how to apply general rules to concrete circumstances which cannot apply in all particular cases. |
L'ascèse et la pénitence corporelle offrent le premier terrain d'application de ce qui vient d'être dit. Une vision trop matérielle — tel saint a fait telle chose, donc c'est bon — aboutit inévitablement à des sottises plus ou moins graves, tant sont grandes les différences de temps, de lieux, de modes de vie, de culture, et aussi de résistance des personnes. Impossible de donner des règles universellement valables pour tous. La sagesse consiste précisément à savoir appliquer à des circonstances concrètes des règles générales qui ne peuvent pas valoir pour tous les cas particuliers. |
The first mistake to avoid: the penances of a hermit cannot serve as an example for a community. The hermit imposes them on himself, and finding himself in direct contact with the consequences, it is easy for him to regulate them. If the same penances are imposed by a rule or a superior, the monitoring will be much less effective, especially if the superior does not have a great capacity for listening, and moreover believes himself to be exempt [from the penance]. |
Première erreur à éviter : les pénitences d'un ermite ne peuvent pas servir d'exemple pour une communauté. L'ermite se les impose, et se trouvant en contact direct avec les conséquences, il lui est facile de les réguler. Si les mêmes pénitences sont imposées par une règle ou un supérieur, le régulateur fonctionnera beaucoup moins bien, surtout si le supérieur n'a pas une grande qualité d'écoute, et de surcroît se croit lui-même dispensé. |
Amma Syncletica emphasizes another aspect: “Being in a monastery of cenobites, let us prefer obedience to asceticism. Indeed the one teaches pride, the other humility. » [The Sentences of the Desert Fathers, Alphabetical Collection § 907, Amma Syncletica 16, Solesmes, Saint-Pierre Abbey, 1981, p. 312] |
Amma Synclétique souligne un autre aspect : « Étant dans un monastère de cénobites, préférons l'obéissance à l'ascèse. Celle-ci, en effet, enseigne l'orgueil, celle-là l'humilité. » [Les Sentences des Pères du désert, Collection alphabétique § 907, Amma Synclétique 16, Solesmes, abbaye Saint-Pierre, 1981, p. 312.] |
A frequent feature in deviant situations is the extreme emphasis placed on questions of food. Admittedly, the desert fathers provided an example of thorough asceticism on this point, but this consideration is centered on the materiality, whereas only the fruit counts. Will forcing the community to be permanently hungry bring spiritual fruit? The ancient monks who understood [spiritual] combat told us that we think about hunger all day long. Far from offering spiritual profit, it wears down the powers and constantly refocuses the spirit on the body. |
Un trait fréquent dans les situations de dérive est l'importance extrême donnée aux questions de nourriture. Certes, les pères du désert ont donné l'exemple d'une ascèse poussée sur ce point, mais cette considération se centre sur la matérialité alors que seul compte le fruit. Obliger la communauté à avoir faim en permanence portera-t-il des fruits spirituels ? Les moines anciens qui ont connu la guerre nous disaient qu'on pense toute la journée à la faim. Loin de présenter un profit spirituel, cela use les forces et ramène sans cesse l'esprit sur le corps. |
Saint Teresa of Calcutta wondered what should be done in this matter. Living among the poor, was it not necessary to share their existence entirely, including through hunger? However, as her sisters gave of themselves without stinting and, according to some, lived [perpetually] exhausted, she was advised to feed them well; and she followed this advice. Fatigue plus hunger would have represented an excessive burden. |
Sainte Teresa de Calcutta s'était demandé ce qu'il convenait de faire en cette matière. Vivant au milieu des pauvres, ne fallait-il pas partager entièrement leur existence, y compris par la faim ? Pourtant, comme ses soeurs se donnaient sans compter et au témoignage de certaines, vivaient fatiguées, il lui fut conseillé de bien les nourrir et elle suivit ce conseil. La fatigue plus la faim auraient représenté un poids excessif. |
A text of the Statutes of the Carthusians, in the chapter on poverty, makes an interesting remark which is moreover an allusion to chapter LV of the Rule of Saint Benedict. |
Un texte des Statuts des chartreux, dans le chapitre sur la pauvreté, fait une remarque intéressante qui est d'ailleurs une allusion au chapitre LV de la Règle de saint Benoît. |
Rather, we invite priors to provide with good grace for all the real needs of their religious, according to the means of the house. Let them allow themselves to be carried away by the charity of Christ, and they will not be able to endure deserving a reproach on this point, especially that of having, by excessive parsimony, pushed their monks into vice of hoarding. [ Statutes of the Carthusian Order, 28.10] |
Nous invitons plutôt les prieurs à subvenir de bonne grâce à tous les besoins réels de leurs religieux, selon les moyens de la maison. Qu'ils se laissent entraîner par la charité du Christ, et ils ne pourront souffrir de mériter un reproche sur ce point, surtout celui d'avoir, par une excessive parcimonie, poussé leurs moines dans le vice de propriété. [Statuts de l'Ordre des chartreux, 28.10] |
By wanting to push imposed poverty too far, we will provoke a reflex of hoarding, like the ant planning for the winter. Thus the result will be the opposite of the goal pursued. It would be possible to apply this to other situations. For food, those who are too hungry are very likely to seek expedients, such as stealing what they can from the kitchen, and will do so all the more willingly if they see that their superiors do not submit to the same asceticism. |
À vouloir pousser trop loin une pauvreté imposée, on va provoquer un réflexe de thésaurisation, comme la fourmi qui prévoit pour l'hiver. Ainsi le résultat sera le contraire du but poursuivi. Il serait possible de transposer à d'autres situations. Pour la nourriture, celui ou celle qui a trop faim risque fort de chercher des expédients, comme de chiper ce qu'il peut à la cuisine, et le fera d'autant plus volontiers s'il voit que les supérieurs, eux ne se soumettent guère à la même ascèse. |
The quoted text continues in this line but gives a deeper reason that requires no comment: |
Le texte cité poursuit dans cette ligne mais en donnant une raison plus profonde qui n'a pas besoin de commentaire : |
Indeed, the more our poverty will be voluntary, the more it will please the Lord. What is commendable is not to be deprived of the conveniences of life, but to deprive oneself of them. [ ibid . Statutes of the Carthusian Order, 28.10] |
En effet, plus notre pauvreté sera volontaire, et plus elle plaira au Seigneur. Ce qui est louable n'est pas d'être privé des facilités de la vie, mais de s'en priver. [Ibid. Statuts de l'Ordre des chartreux, 28.10] |
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Équilibre |
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All the Christian virtues are suspended between two abysses”[:] | Toutes les vertus chrétiennes sont suspendues entre deux abîmes, |
[a] our existence as creatures brought forth from nothingness; [i.e humility; utter receptivity] [b] and the infinity of God who draws us to Himself. [i.e. theosis/divinization] |
notre être de
créatures tirées du néant et l'infini de Dieu qui nous attire à lui. |
If we let one of the two anchor points loose, virtue turns into madness. We do not have to choose between the human and the divine, the Christ who is our way has united the two in his person and spirituality is no longer Christian (i.e. in the image of Christ ) if it does not hold the two together. | Que l'un des deux points d'ancrage lâche, et la vertu se mue en folie. Nous n'avons pas à choisir entre l'humain et le divin, le Christ qui est notre voie a uni les deux en sa personne et la spiritualité n'est plus chrétienne (c'est-à-dire à l'image du Christ) si elle ne tient pas les deux ensemble. |
The spiritual life is made up of many balances and this is its richness and its subtlety. | La vie spirituelle est faite de nombreux équilibres et c'est là sa richesse et sa finesse. |
Boldness
intimacy and
confidence in mercy
fidelity to the rule
faith
grace
everything comes from God
prayer
abandonment to Providence |
Audace
intimité
confiance
fidélité à la règle
la foi
la grâce
tout vient de Dieu
la prière
l'abandon à la
Providence |
[*”But you, you were more intimate to me than I was to myself, and higher than the peaks of myself”, Tu eras interior intimo meo et supe-rior summo meo, Augustin, Confessions, III, vi , 11.] |
[*« Mais toi, tu étais plus intime que l'intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même », Tu eras interior intimo meo et supe-rior summo meo, Augustin, Confessions, III, vi, 11.] |
In chapter 55 of his Rule, Saint Benedict writes: |
Au chapitre LV de sa Règle, saint Benoît écrit : |
The beds must be often inspected by the abbot, lest there be found in them any object which has been appropriated. If he discovers something that has not been received from the abbot, the culprit will suffer severe punishment. And to radically remove this vice from property, the abbot will provide all that is necessary: coat, tunic, socks, shoes, belt, knife, pencil, needle, handkerchief, notebook, in order to remove any pretext of necessity. |
Les lits doivent être souvent inspectés par l'abbé, de peur qu'il ne s'y trouve quelque objet qu'on se serait approprié. S'il découvre quelque chose qui n'a pas été reçu de l'abbé, le coupable subira un châtiment sévère. Et pour retrancher radicalement ce vice de la propriété, l'abbé donnera tout ce qui est nécessaire : coule, tunique, chaussettes, souliers, ceinture, couteau, crayon, aiguille, mouchoir, cahier, afin d'ôter tout prétexte de nécessité. |
The abbot, however, should always take into account this text from the Acts of the Apostles: “We gave to each according to his needs. “The abbot will therefore take into consideration the needs of the weak and not the bad disposition of the envious. But that in all judgments, he must consider the account he will render to God. |
Que l'abbé, cependant, tienne toujours compte de cette sentence des Acte des Apôtres : « On donnait à chacun selon ses besoins. » L'abbé prendra donc en considération les besoins des faibles et non la mauvaise disposition des envieux. Mais qu'en tous jugements, il pense au compte à rendre à Dieu. |
This text illustrates what the great tradition is. This does not consist of inspecting the beds or giving strictly what is indicated in the list — a material approach which would forget that fourteen centuries separate us from this text, and that today one no longer hides things under one’s bed. . The great tradition is expressed in the balance of this text which begins by indicating the objects permitted by poverty or considered superfluous, in order to give a clear direction, then does not hesitate to point out transgressions, indicates a measure of prudence and wisdom to avoid that an excess of parsimony pushes the monks into the opposite vice of poverty, and ends with a recommendation of kindness and mercy, especially towards the weak. |
Ce texte permet d'illustrer ce qu'est la grande tradition. Celle-ci ne consiste pas à inspecter les lits ou à donner strictement ce qui est indiqué dans la liste — approche matérielle qui oublierait que quatorze siècles nous séparent de ce texte, et qu'aujourd'hui on ne cache plus les choses sous son lit. La grande tradition s'exprime dans l'équilibre de ce texte qui commence par indiquer les objets permis par la pauvreté ou superflus, afin de donner une direction claire, puis n'hésite pas à signaler les transgressions, indique une mesure de prudence et de sagesse pour éviter qu'un excès de parcimonie pousse les moines dans le vice inverse de la pauvreté, et se termine par une recommandation de bonté et de miséricorde, spécialement envers les faibles. |
This balance remains
valid today and will still be in a thousand years. Finally, he adds
one of the many recommendations that the Rule makes, that
the Abbot remember that he too has a Judge. If he happened, in
fact, to leave his monks destitute without reason, this Judge could
well say to him: “I was hungry and you did not give me to eat, I was
naked and you did not clothe me.” And this phrase would sound all
the more terrible if he himself, meanwhile, had everything he
needed. “Wretched are you too, lawyers, because you burden people
with unbearable burdens, and you yourselves do not even touch these
burdens with one finger”
( |
Cet équilibre reste valable aujourd'hui et le sera encore dans mille ans. Enfin, il ajoute une des nombreuses recommandations que la Règle fait à l'Abbé de se souvenir qu'il a lui aussi un Juge. S'il lui arrivait, en effet, de laisser ses moines dans le dénuement sans raison, ce Juge pourrait bien lui dire : « J'avais faim et tu ne m'as pas donné à manger, j'étais nu et tu ne m'as pas habillé. » Et cette phrase résonnerait de façon d'autant plus terrible si lui-même, pendant ce temps avait tout ce qu'il lui fallait. « Vous aussi, les docteurs de la Loi, malheureux êtes-vous, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter, et vous-mêmes, vous ne touchez même pas ces fardeaux d'un seul doigt » (Lc 11, 46). |
The great tradition therefore brings us back to this essential equilibrium made up of need and mercy, of firmness and kindness, practiced under the gaze of Christ to Whom we will have to give an account. And this in an apparently unimportant chapter which bears the title: The way in which the brothers are dressed and shod. |
La grande tradition nous ramène donc à cet équilibre essentiel fait d'exigence et de miséricorde, de fermeté et de bonté, pratiquées sous le regard du Christ auquel il faudra rendre des comptes. Et ceci dans un chapitre apparemment sans importance qui porte pour titre : La façon dont les frères sont vêtus et chaussés. |
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L'HUMILITÉ |
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This virtue has always had a special place in Christian spirituality. Saint Bernard writes: “Strive for humility, it is the foundation and guardian of the virtues; seek her with ardor, she alone can save your souls.” [Bernard, « First sermon for Christmas Day » The five sources, 1, in Serinons for the year 1.2, Paris, Ed. du Cerf, col’.. “Christian Sources”, 2004, p. 11] |
Cette vertu a toujours eu, dans la spiritualité chrétienne, une place particulière. Saint Bernard écrit : « Efforcez-vous à l'humilité, elle est le fondement et la gardienne des vertus ; recherchez-la avec ardeur, elle seule peut sauver vos âmes. » [Bernard, « Premier sermon pour le jour de Noël » Les cinq sources, 1, dans Serinons pour l'année 1.2, Paris, Éd. du Cerf, col'..« Sources chrétiennes », 2004, p. 11] |
In the text from which several passages have been quoted above’ [See the connection of the virtues, p. 53] Dorotheos of Gaza expresses it by using the image of the mortar which must bind the stones (the virtues) so that they do not come apart. [Dorotheos of Gaza, “Instructions” xiv, “Of the building and harmony of the virtues of the soul”, in Oeuvres Spirituelles, Paris, Ed. du Cerf, coll. “Sources chrétiennes”, 1963, p. 425] |
Dans le texte dont plusieurs passages ont été cités plus haut' [Voir la connexion des vertus, p. 53] Dorothée de Gaza l'exprime en utilisant l'image du mortier qui doit lier les pierres (les vertus) afin qu'elles ne se disjoignent pas. [Dorothée DE GAZA, « Instructions » xiv, « De l'édifice et de l'harmonie des vertus de l'âme », dans CEuvres spirituelles, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », 1963, p. 425] |
Saint Bernard also says: “It is through humility that we receive the other virtues, it is also through humility that we preserve them, finally it is humility that brings them to their perfection. [Bernard, On the Manners and Duties of Bishops, chap. v, no. 17, in Complete Works, Paris, Vives, 1866, t. II, p. 202] |
Saint Bernard dit encore : « C'est par l'humilité que nous recevons les autres vertus, c'est par elle aussi que nous les conservons, enfin c'est elle qui les porte à leur perfection. » [Bernard, Des moeurs et du devoir des évêques, chap. v, n° 17, dans CEuvres complètes, Paris, Vives, 1866, t. II, p. 202] |
Closer to home, the Curé of Ars writes: “Humility is to the virtues what the chain is to the rosary: remove the chain and all the beads escape; take away humility and all virtues disappear.” [F. Trochu, The Curé of Ars Saint Jean-Maris-Baptiste Vianney (1786-1859), Lyon-Paris, Emmanuel Vitte, 1929, p. 537.] |
Plus près de nous, le Curé d'Ars écrit : « L'humilité est aux vertus ce que la chaîne est au chapelet : enlevez la chaîne et tous les grains s'échappent ; ôtez l'humilité et toutes les vertus disparaissent. » [F. Trochu, Le Curé d'Ars Saint Jean-Maris-Baptiste Vianney (1786-1859), Lyon-Paris, Emmanuel Vitte, 1929, p. 537.] |
However, it is not certain that for any given soul, at any given time, it is good to put all of one’s spiritual energy into the search for humility. If behind this insistent search we find the image of a God who takes pleasure in humiliating his creatures, or even a psychological weakness such as a low self- esteem, this soul should be clearly oriented towards the contemplation of the love of Christ and his Father for her and not in the contemplation of her nothingness which will not lead her to God. Gazing at the greatness of God is more apt to humble us than a reflection on our nothingness. |
Pourtant il n'est pas certain que pour telle âme, à tel moment, il soit bon de mettre tout son élan spirituel dans la recherche de l'humilité. Si derrière cette recherche insistante on trouve l'image d'un Dieu qui prend plaisir à humilier ses créatures, ou encore une faiblesse psychologique comme un manque d'estime de soi [Low self esteem, disent les Anglo-Saxons], cette âme devrait être franchement orientée vers la contemplation de l'amour du Christ et de son Père pour elle et non dans la contemplation de son néant qui ne la conduira pas à Dieu. Un regard vers la grandeur de Dieu est plus propre à nous humilier que la réflexion sur notre néant. |
To pressure a soul too
much into humility presents real risks, both human and spiritual.
True humility can only be established on the basis of healthy
self-esteem, and the knowledge of our worth before God. The best key
to this balance was formulated by Saint Paul: “What do you have that
you have not received, and if you have received it, why boast about
it as if you had not received it?”
( |
Trop pousser
une âme dans l'humilité présente de vrais risques, humains et
spirituels. La véritable humilité ne peut s'établir que sur le
terrain d'une saine estime de soi, et de la connaissance de notre
valeur devant Dieu. La meilleure clef de cet équilibre a été
formulée par saint Paul : « Qu'as-tu que tu n'aies reçu, et si tu
l'as reçu pourquoi t'en glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu ?
» ( |
Humility is based on the
mystery of man created in the image of God, an expression so often
repeated that we sometimes forget its profundity: how can a created
being be the image of the Uncreated? How can one who has received
everything, even his existence, be called to enter into the life of
the One who gives everything?
The answer is found in the mystery of
Christ, which is Himself rooted in the mystery of the eternally
begotten Word.
Healthy humility will therefore be amazed at the
incredible gift it has received. Far from destroying self-esteem, it
purifies it and carries it to its highest degree, by placing it on
its true base which is God the creator. “[God] did not spare his own
Son, but delivered him up for us all: how could he with him not give
us everything? ( |
L'humilité se
fonde sur le mystère de l'homme créé à l'image de Dieu, une
expression dont la répétition nous fait oublier parfois toute la
profondeur : comment un être créé peut-il être l'image de l'Incréé ?
Comment celui qui a tout reçu, jusqu'à son existence, peut-il être
appelé à entrer dans la vie de Celui qui donne tout ? La réponse se
trouve dans le mystère du Christ, qui lui-même s'enracine dans le
mystère du Verbe éternellement engendré. L'humilité saine sera donc
émerveillée du don incroyable qu'elle a reçu. Loin de détruire
l'estime de soi, elle la purifie et la porte à son plus haut degré,
en la posant sur son socle véritable qui est Dieu créateur. « [Dieu]
n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous :
comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? » ( |
Humility is, as it were, suspended between [:] | L'humilité se trouve comme suspendue entre |
[1] our dignity as children of God [2] and the nothingness from which we were drawn. |
notre dignité de fils de Dieu et le néant dont nous avons été tirés. |
We are not in a vacuum, because the unsurpassable humility of Christ has forever joined | Nous ne sommes pas dans le vide, car l'humilité indépassable du Christ a joint pour toujours |
[1] the infinity of God [2] and the limits of the creature |
l'infini de Dieu et les limites de la créature |
and it is in Him that we find the balance that allows us to forget neither [:] | et c'est en lui que nous trouvons l'équilibre qui nous permet de n'oublier ni |
[2] our origin, since we are “raised from the dust”, (Gen 2.7; 3.19) [1] nor our end which the Fathers of the Church like to call “divinization” (Ps 82.6; Jn 10.34; ). |
notre origine,
puisque nous sommes « tirés de la poussière », ni notre fin que les Pères de l'Église aiment à appeler la « divinisation ». |
The growth of humility can only take place in a healthy way in this balance, on both sides at the same time. “Humility is walking in the truth”, says Saint Teresa of Avila |
La croissance de l'humilité ne peut se faire de manière saine que dans cet équilibre, des deux côtés à la fois. « L'humilité, c'est marcher dans la vérité », dit sainte Thérèse d'Avila |
One day when I was wondering why Our Lord loves this virtue of humility so much, this suddenly seemed obvious to me: God is the supreme Truth, and humility is to be in the truth; here is something very great: of ourselves we have nothing good, we are nothing but misery and nothingness; anyone who does not understand this is living a lie. The more one understands it, the more agreeable one is to the Supreme Truth, for one lives in it. May it please God, my sisters, to grant us the grace never to deviate from this knowledge of ourselves. [Teresa of Avila, The inner castle, e residences, 10, 7, Paris, Ed. du Cerf, 2003] |
Un jour où je me demandais pour quelle raison Notre Seigneur aime tant cette vertu d'humilité, ceci, soudain, me parut évident : Dieu est la suprême Vérité, et l'humilité, c'est être dans la vérité ; en voici une fort grande : nous n'avons de nous-mêmes rien de bon, nous ne sommes que misère, et néant ; quiconque ne comprend pas cela vit dans le mensonge. Plus on le comprend, plus on est agréable à la suprême Vérité, car on vit en elle. Plaise à Dieu, mes soeurs, de nous faire la grâce de ne jamais nous écarter de cette connaissance de nous-même. [Thérèse d'Avila, Le château intérieur, e demeures, 10, 7, Paris, Éd. du Cerf, 2003] |
Yes, Saint Theresa, but
if you want us to walk in the truth, don’t forget the other half
that is emphasized so much in your work: we are nothing by
ourselves, but we are everything by grace. At the beginning of the
sixth mansions in which the text that has just been quoted is found,
you write: “The soul is now quite determined not to take another
spouse, but the spouse does not take into account his strong desire
to immediately celebrate the engagement.” Don’t tell me that she
seriously thinks that she is nothing, for otherwise she would not
await the engagement with so much ardor and would flee far from the
bridegroom, saying to him like Saint Peter: “Lord depart from me,
for I am a sinner”
( |
Oui, sainte Thérèse, mais si vous voulez que nous marchions dans la vérité, n'oubliez pas l'autre moitié qui ressort tellement de votre oeuvre : nous ne sommes rien par nous-mêmes, mais nous sommes tout par grâce. Au début des sixièmes demeures dans lesquelles se trouve le texte qui vient d'être cité, vous écrivez : « L'âme est désormais bien décidée à ne pas prendre d'autre époux, mais l'époux ne tient pas compte de son vif désir de célébrer immédiatement les fiançailles. » Ne me dites pas qu'elle pense sérieusement qu'elle n'est que néant, car sinon elle n'attendrait pas avec tant d'ardeur les fiançailles et fuirait loin de l'époux en lui disant comme saint Pierre : « Seigneur éloigne-toi de moi car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8). |
Spiritual authors speak easily of the “nothingness of the creature”. We have avoided this expression, certainly justifiable when [properly] understood, but in itself inaccurate. The creature was taken from nothingness: it exists and therefore does not belong to nothingness. Moreover, man is the image of God. But in the lived experience of the mystics, the abyss between the divine immensity and their own smallness is so great that it seems to them to be nothing, hence the tendency to speak of their own nothingness. In the opposite sense, which other authentic mystics employ, they speak of union with God, a language which is at the edge of pantheism, as if there were no longer any difference between God and them. Once again, it’s about a lived experience that does not know how to place itself within the too narrow limits of words. Union with God has invaded them so much that they no longer feel any difference: this is what they seek to express, but this in no way eliminates the ontological difference between the Creator and the creature — they will often include an explicit statement to add this precision. |
Des auteurs spirituels parlent facilement du « néant de la créature ». Nous avons évité cette expression, certes justifiable quand on la comprend, mais en soi inexacte. La créature a été tirée du néant, elle existe et n'appartient donc pas au néant. De plus l'homme est image de Dieu. Mais dans l'expérience vécue des mystiques, l'abîme entre l'immensité divine et leur propre petitesse est si grand qu'il leur semble n'être plus rien, d'où la tendance à parler de leur propre néant. Dans l'autre sens, d'autres mystiques authentiques emploieront, pour parler de l'union à Dieu, un langage qui se trouve à la limite du panthéisme, comme s'il n'y avait plus de différence entre Dieu et eux. Une fois de plus, il s'agit d'un vécu qui ne sait pas comment se mettre dans la limite trop étroite des mots. L'union à Dieu les a tellement envahis qu'ils ne sentent plus de différence, c'est ce qu'ils cherchent à exprimer, mais cela ne supprime en rien la différence ontologique entre le Créateur et la créature — ils auront souvent une mention explicite pour ajouter cette précision. |
An overly voluntaistic approach to humility will often overlook this balance. Retaining only the texts that speak of our nothingness – [and] they abound! — one thinks that the more we are convinced that we are nothing, the more we will be able to receive divine action; which is neither true nor false, in the sense that this condition is useful or even necessary, but it is not sufficient [in itself]. To say that we are nothing by ourselves does not mean that we are simply nothing. A one-sided insistence on the latter phrase inevitably results in psychological as well as spiritual catastrophes. If I am nothing, my life has no meaning, my very existence has none, and I cannot be loved because no one, even God, can love “nothing”. To feel "nothing" is to lead the life of the damned. Pushing too far in this direction can lead a person to suicide. |
Une approche trop volontariste de l'humilité oubliera souvent cet équilibre. Ne retenant que les textes qui parlent de notre néant — ils abondent ! — elle pense que plus nous serons convaincus que nous ne sommes rien, plus nous serons aptes à recevoir l'action divine, ce qui n'est ni vrai, ni faux, en ce sens que cette condition est utile ou même nécessaire mais pas suffisante. Dire que nous ne sommes rien par nous-mêmes ne veut pas dire que nous ne sommes rien tout court. Une insistance unilatérale sur cette dernière expression aboutit fatalement à des catastrophes aussi bien psychologiques que spirituelles. Si je ne suis rien, ma vie n'a pas de sens, mon existence même n'en a pas, et je ne peux pas être aimé car personne, même Dieu, ne peut aimer « rien ». Se sentir « rien », c'est mener une vie de damné. Pousser trop loin dans ce sens peut conduire une personne au suicide. |
[Even] without going that far, humiliation only pushes in one direction, and for this reason should practically never be sought by the religious, and even less provoked by superiors. Humiliation can only lead to humility if it is lived well, which requires a spiritual maturity that is already well advanced. It can just as easily lead to resentment, bitterness, a morbid self-contempt. Life brings us enough opportunities to be humiliated that it is useless and rather reckless to wish to provoke them. This method, the most dangerous of all, is suitably applied only by divine Providence. Learning to bear well, by following Christ, the humiliations that life offers us - such is the royal way. To ask for humility, provided that it does not become an obsession, should be at the heart of every religious. Asking for humiliation is much less reasonable and risks veiling a hidden pride: am I sure I can bear humiliation in love and recognition? Provoking humiliation is a high-risk operation; and one may wonder if it is ever justified. |
Sans aller jusque-là, l'humiliation n'appuie que d'un côté, et pour cette raison ne doit pratiquement jamais être recherchée par le religieux, et encore bien moins provoquée par les supérieurs. L'humiliation ne peut porter à l'humilité qu'à la condition d'être bien vécue, ce qui demande une maturité spirituelle déjà bien avancée. Elle peut tout aussi bien conduire au ressentiment, à l'amertume, à un mépris morbide de soi. La vie nous apporte suffisamment d'occasions d'être humiliés pour qu'il soit inutile et plutôt téméraire de vouloir les provoquer. Ce moyen, le plus dangereux de tous, n'est convenablement manié que par la Providence divine. Apprendre à bien porter, dans la suite du Christ, les humiliations que la vie nous apporte, telle est la voie royale. Demander l'humilité, à condition de ne pas en faire une obsession, tout religieux devrait l'avoir à coeur. Demander l'humiliation est beaucoup moins raisonnable et risque de voiler un orgueil caché : suis-je certain de pouvoir porter l'humiliation dans l'amour et la reconnaissance ? Provoquer l'humiliation relève d'une opération à haut risque dont il est permis de se demander si elle est jamais justifiée. |
The opposite imbalance can also exist, Saint Teresa of Avila warns us on this point: |
Le déséquilibre inverse peut aussi exister, sainte Thérèse d'Avila nous met en garde sur ce point : |
The spiritual edifice rests entirely on humility: the closer one approaches God, the more this virtue must grow; and if it is otherwise all is lost. But there is, I believe, a certain pride in wanting to ascend even higher. Given what we are, our God already gives us too much grace, allowing us to draw near to Him. [Teresa of Avila, ”Book of Life” 12, 4, in Complete Works, t. I, Paris, Ed. du Cerf, 1995, p. 85] |
L'édifice spirituel reposant tout entier sur l'humilité, plus on s'approche de Dieu, plus cette vertu doit grandir, et s'il en est autrement, tout est perdu. Or il y a, je crois, un certain orgueil à vouloir de soi-même monter plus haut. Étant donné ce que nous sommes, notre Dieu nous fait déjà trop de grâce, en nous permettant de nous approcher de Lui. [Thérèse d'Avila, « Livre de la Vie » 12, 4, dans OEuvres complètes, t. I, Paris, Éd. du Cerf, 1995, p. 85] |
The fear of pride should not, however, lead to the crushing of a soul beneath a sense of its own misery. When the prodigal son returns home the Father treats him like a prince. Saint Basil, in his treatise On the Origin of Man, exclaims: “Man, you have been elected prince of creation!*” Yet he does not forget balance: [*Basil, On origin of man, I, 8, Paris, Ed. du Cerf, coll. ”Christian Sources”, 1970, p. 185] |
La crainte de l'orgueil ne doit pourtant pas conduire à écraser une âme sous le sentiment de sa misère. Lorsque l'enfant prodigue revient à la maison, le Père le traite comme un prince. Saint Basile, dans son traité Sur l'origine de l'homme, s'écrie : « Homme, tu as été élu prince de la création!* » Il n'oublie pourtant pas l'équilibre : [*Basile, Sur l'origine de l'homme, I, 8, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », 1970, p. 185. |
God deigns to mold our body with his own hands. [...] If you consider what he took, what is man? But if you reflect on the One who molded him, what a great thing man is! [ Ibid., Basil, On the Origin of Man II, 2, p. 231] |
Dieu daigne modeler notre corps avec ses propres mains. [...] Si tu considères ce qu'il a pris, qu'est-ce que l'Homme ? Mais si tu réfléchis à Celui qui l'a modelé quelle grande chose que l'Homme! [Ibid., Basile, Sur l'origine de l'homme II, 2, p. 231] |
Behind frivolous and somewhat vain appearances, today’s novices often hide the great emptiness of our culture which no longer believes in the greatness of man. Who am I ? This question haunts them more than they realize. Explaining to them too insistently that they are nothing cannot help them, so little is faith in the divine sonship received from baptism in today’s Christian culture. |
Derrière des apparences légères et un peu vaniteuses, les novices d'aujourd'hui cachent souvent le grand vide de notre culture qui ne croit plus à la grandeur de l'homme. Qui suis-je ? Cette question les habite plus qu'ils ne le pensent. Leur expliquer avec trop d'insistance qu'ils ne sont rien ne peut pas les aider, tant la foi en la filiation divine reçue du baptême est généralement maigre dans la culture chrétienne d'aujourd'hui. |
Even in the religious world, it often remains feeble, whereas it constitutes the foundation-stone of a solid and balanced religious life. Truly believing that God loves us, with a faith that withstands trials, is the fruit of a long journey. It is therefore necessary to first establish or consolidate these bases and not to let the young enthusiast rush into a sampling of humiliation and sacrifice that will not withstand the test of time. This game is not without risk and you can burn your wings. |
Même dans le monde religieux, elle reste souvent faible, alors qu'elle constitue la pierre fondamentale d'une vie religieuse solide et équilibrée. Croire réellement que Dieu nous aime, d'une foi qui tient dans l'épreuve, est le fruit d'un long itinéraire. Il convient donc d'abord d'établir ou de consolider ces bases et ne pas laisser le jeune enthousiaste se lancer dans un goût de l'humiliation et du sacrifice qui ne va pas résister à l'usure du temps. Ce jeu n'est pas sans risque et on peut s'y brûler les ailes. |
On the part of the formator — who should know these things — let him begin with the fundamentals: creation in the image of God; the divine sonship given to us in and through Christ; the totally free love of God — a love of kindness and not just benevolence — the mysterious relationship between the work of grace and our personal action; the face of God almost always distorted by patterns arising from family or other experience. The material is ample. True humility will naturally emerge from such a journey, much more and much better than by revolving endlessly around our misery, that is to say, ultimately around ourselves, the complete antithesis of humility. Let us listen once again to the great Teresa: |
Du côté du formateur — qui devrait savoir ces choses —qu'il commence par les fondamentaux : la création à l'image de Dieu, la filiation divine qui nous a été donnée dans et par le Christ, l'amour totalement gratuit de Dieu — un amour de complaisance et pas seulement de bienfaisance —, le mystérieux rapport entre l'oeuvre de la grâce et notre action personnelle, le visage de Dieu presque toujours déformé par des schémas issus de l'expérience familiale ou autre. La matière est ample. L'humilité vraie naîtra naturellement d'un tel parcours, beaucoup plus et beaucoup mieux qu'en tournant indéfiniment autour de notre misère, c'est-à-dire, finalement de nous-même, antithèse complète de l'humilité. Écoutons une fois encore la grande Thérèse : |
We will never come to know ourselves if we do not seek to know God; contemplating his greatness let us bend over our baseness; contemplating His purity, we will see our filthiness; by considering His humility, we will see how far we are from being humble. |
Jamais nous n'arriverons à nous connaître si nous ne cherchons pas à connaître Dieu ; en contemplant sa grandeur penchons-nous sur notre bassesse ; en contemplant Sa pureté, nous verrons notre saleté ; en considérant Son humilité, nous verrons combien nous sommes loin d'être humbles. |
There are two advantages[to this perspective]: first, it is clear that something white looks whiter next to something black, and, conversely, black next to white; secondly, our intelligence and our will are better disposed to accomplish all that is good when our gaze turns to God; there are great disadvantages in never getting out of our mud and our misery. If we live sunk in the miseries of our soil, we will never emerge from the muddy current of fears, pusillanimities, and cowardice. This is why I say, my daughters, that we must fix our eyes on Christ, our good; there we will learn true humility; in Him and in his Saints, our intelligence will be ennobled as I have said. [Therese of Avila,The Interior Castle, First mansion, ch.. H, 9-10] |
On trouve [à cette perspective] deux avantages : premièrement, il est clair que quelque chose de blanc paraît plus blanc auprès de quelque chose de noir, et, à l'opposé, le noir auprès du blanc ; deuxièmement, notre intelligence et notre volonté se disposent mieux à accomplir tout ce qui est bien lorsque notre regard se tourne vers Dieu ; il y a de grands inconvénients à ne jamais sortir de notre boue et de notre misère. Si nous vivons enfoncés dans les misères de notre terre, jamais nous ne sortirons du courant boueux des craintes, des pusillanimités, et de la lâcheté. C'est pourquoi je dis, mes filles, que nous devons fixer nos regards sur le Christ, notre bien ; là, nous apprendrons la véritable humilité ; en Lui et en ses Saints, notre intelligence s'ennoblira comme je l'ai dit. [Thérèse d'Avila, Le château intérieur, Premières demeures, chap. H, 9-10] |
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LE SACRIFICE |
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The value of sacrifice in the Christian life, following the example of Christ, cannot be overestimated. But the same reservations apply here as for humility. The novice must be wisely guided on this path. Sacrifice must arise out of the love it seeks to manifest. If the taste for performance — with the best intentions in the world — is involved, it becomes much more ambiguous. Our relationship to suffering is a delicate reality; and it is always better to welcome the [suffering] Providence sends us, rather than looking for it ourselves. Saint Thérèse of the Child Jesus, who nevertheless held the value of suffering in very high esteem, wrote: |
La valeur du sacrifice dans la vie chrétienne, à l'exemple du Christ, ne peut être surestimée. Mais les mêmes réserves que pour l'humilité s'appliquent. Le novice doit être guidé avec sagesse sur ce chemin. Le sacrifice doit provenir de l'amour qu'il cherche à manifester. Si le goût de la performance — avec les meilleures intentions du monde — vient s'y mêler, il devient beaucoup plus ambigu. Le rapport à la souffrance est une réalité délicate et il vaut toujours mieux accueillir celle que la Providence nous envoie, plutôt que de la chercher soi-même. Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, qui a pourtant eu en très haute estime la valeur de la souffrance, a écrit : |
The good Lord just gives me what I can carry. [Thérèse of the Child Jesus, “ Last interviews”, Yellow notebook August 25, 2, in CEuvres completes, Paris, Ed. du Cerf, 1992, p. 1109] |
Le bon Dieu me donne juste ce que je peux porter'. [Thérèse de L'Enfant Jésus, « Derniers entretiens », Carnet jaune 25 août, 2, dans CEuvres complètes, Paris, Éd. du Cerf, 1992, p. 1109] |
I would never want to ask God for greater suffering, [...] it would be my own suffering, I would have to bear it alone and I have never been able to do anything on my own. [ Ibid., Thérèse , Yellow Notebook August 11, 3, p. 1111] |
Je ne voudrais jamais demander au bon Dieu des souffrances plus grandes, [...] ce serait mes souffrances à moi, il faudrait que je les supporte seule et je n'ai jamais rien pu faire toute seule. [Ibid., Thérèse ,Carnet jaune 11 août, 3, p. 1111] |
I’m very happy not to have asked the good Lord for suffering, like that, he is obliged to give me courage. [ Ibid., Thérèse Carnet jaune August 26, 2, p. 1111] |
Je suis bien contente de n'avoir pas demandé la souffrance au bon Dieu, comme cela, il est obligé de me donner du courage. [Ibid., Thérèse Carnet jaune 26 août, 2, p. 1111] |
The golden rule is found in the recommendation of Saint Francis de Sales: Ask nothing, refuse nothing. [Francis de Sales, XXIII Interview , December 26, 1622] |
La règle d'or se trouve dans la recommandation de saint François de Sales: Ne rien demander, ne rien refuser. [François de Sales, XXIIIe Entretien, 26 décembre 1622] |
It is therefore in no sense a question of devaluing sacrifice, but of being aware that it must preserve its rightful place, in the service of the love which must remain primary. And since God knows the measure that suits us better than we do, a wise direction will teach the young religious that to say yes to everything that life, that is to say Providence, asks of us is an incomparably safer way. The first sacrifice of the novice consists moreover in faithfully following the rule of his institute. The work is already sufficiently abundant not to try to add still more. |
Il ne s'agit donc en rien de dévaluer le sacrifice, mais d'avoir conscience qu'il doit conserver sa juste place, au service de l'amour qui doit demeurer premier. Et puisque Dieu connaît mieux que nous la mesure qui nous convient, une sage direction apprendra au jeune religieux que dire oui à tout ce que la vie, c'est-à-dire la Providence, nous demande est une voie incomparablement plus sûre. Le premier sacrifice du novice consiste d'ailleurs à suivre fidèlement la règle de son institut. Le travail est déjà suffisamment abondant pour qu'on ne cherche pas trop à en rajouter. |
It is not a question of pleading for lukewarmness, but for [patient] endurance. A powerful dynamism without a future is not only useless, but ultimately proves harmful and become subject to temptation disguised as goodness. |
Il ne s’agit pas de plaider pour la tiédeur, mais pour la durée. Un grand élan sans lendemain, non seulement ne sert à rien mais se montre finalement nuisible et peut relever de la tentation sous une apparence de bien. |
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LA TENTATION SOUS APPARENCE DE BIEN |
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Saint Ignatius of Loyola speaks of this temptation disguised as goodness in his “rules for the discernment of spirits”, a foundational text that every religious should know. These rules are found in the Spiritual Exercises. |
Saint Ignace de Loyola parle de cette tentation sous apparence de bien dans ses « règles pour le discernement des esprits », texte fondamental que tout religieux devrait connaître. Ces règles se trouvent dans les Exercices spirituels. |
It is characteristic of the bad angel, who transforms himself into an angel of light, to first go in the same direction as the faithful soul, and then to lead it ultimately in his own direction. That is to say, he proposes good and holy thoughts in accordance with the righteous soul, and then, little by little, he tries to bring it to his ends by entangling the soul in his secret deceptions and his evil intentions. [Ignatius of Loyola, Spiritual Exercises, Paris, DDB, 2nd ed., 1960, n° 332. The rules for the discernment of spirits are found in n°313 to 351] |
C'est le propre de l'ange mauvais, qui se transforme en ange de lumière, d'aller d'abord dans le sens de l'âme fidèle, et de l'amener finalement dans le sien. C'est-à-dire qu'il propose des pensées bonnes et saintes, en accord avec l'âme juste, et ensuite, peu à peu, il tâche de l'amener à ses fins en entraînant l'âme dans ses tromperies secrètes et ses intentions perverses. [Ignace de Loyola, Exercices spirituels, Paris, DDB, 2eéd., 1960, n° 332. Les règles pour le discernement des esprits se trouvent aux n°313 à 351] |
We can permit a Jesuit to comment on this text by his founder. |
Nous pouvons laisser un jésuite commenter le texte de son fondateur. |
We are of course assuming the case of a generous soul who advances on the right path. All the tactics of the evil spirit adapt to this disposition: it presents itself and acts under the mask of goodness, “it transfigures itself into an angel of light.” He takes care not to reveal the aim pursued or to suggest manifestly reprehensible steps, but he endeavors, with a view to apparently praiseworthy ends, to bring about an imperceptible deviation from the original direction. The soul always believes herself commencing on the [right] road; perhaps she even thinks she is more zealous there, thinks she is advancing better, when at an unforeseen detour, on the occasion of a fortuitous accident, she no longer recognizes herself; she has become lost. The evil spirit had joined her on her path; now here she is, on the pathway to him. He has accomplished his aim. [H. Coathalem, Commentary on the Book of Exercises, Paris, DDB, 1965, p. 310] |
Nous sommes bien entendu dans l'hypothèse d'une âme généreuse qui avance sur la bonne voie. Toute la tactique du mauvais esprit s'adapte à cette disposition : il se présente et agit sous le masque du bien, « il se transfigure en ange de lumière ». Il se garde de dévoiler le but poursuivi et de suggérer des démarches manifestement répréhensibles, mais il s'efforce, en vue de fins apparemment louables, d'amener à dévier insensiblement de la direction primitive. L'âme se croit toujours sur le chemin du départ ; peut-être même s'y croit-elle plus zélée, croit-elle y avancer mieux, lorsqu'à un détour imprévu, à l'occasion d'un accident fortuit, elle ne se reconnaît plus ; elle s'est égarée. Le mauvais esprit l'avait rejointe sur son chemin à elle ; la voilà maintenant sur son chemin à lui. Il est arrivé à ses fins. [H. Coathalem, Commentaire du livre des Exercices, Paris, DDB, 1965, p. 310] |
We find in Saint Teresa an echo of the lucid description of Saint Ignatius: “The devil arrives with all his artifices and, under the pretext of good, he makes her separate from the divine will in small things, and engages her in others that he represents to him as not being bad; little by little he succeeds in clouding her understanding and cooling her will; within herself she develops self-love, until finally he distances her by successive breaches of the will of God and leads her to do his own will.” [Teresa of Avila, The Interior Castle, 5th mansion, chap. iv, 8]; |
On retrouve chez sainte Thérèse comme un écho de la description lucide de saint Ignace : « Le démon arrive avec tous ses artifices et, sous prétexte de bien, il la fait se séparer de cette volonté divine en de petites choses, et l'engage dans d'autres qu'il lui représente comme n'étant pas mauvaises ; peu à peu il arrive à obscurcir son entendement et à refroidir sa volonté ; il développe en elle l'amour-propre, jusqu'à ce qu'il l'éloigne enfin par manquements successifs de la volonté de Dieu et l'amène à faire la sienne ». [Thérèse d'Avila, Le château intérieur, 5e demeures, chap. iv, 8] ; |
An example of temptation disguised as goodness, very classic in religious life, and which relates to the theme of this chapter, is exposed by Father Jacques Fédry: |
Un exemple de tentation sous apparence de bien, très classique dans la vie religieuse, et qui rejoint le thème de ce chapitre, est exposé par le père Jacques Fédry : |
Another sign of the evil spirit is to pressure to “add more” endlessly... Worried obsession with an “always more” in the order of doing, which is a perversion of the authentic positive “more” situated in the order of the quality of being and of love. Satan presents something as a good deed to be accomplished, then he hijacks it and tries everything to derail it. |
Un autre signe du mauvais esprit, c'est de pousser à « en rajouter » indéfiniment... Obsession inquiète d'un « toujours plus » dans l'ordre du faire, qui est une perversion de l'authentique « davantage » situé, lui, dans l'ordre de la qualité de l'être et de l'amour. Satan présente les choses comme une bonne action à réaliser, puis il détourne, tente tout pour faire déraper. |
One of the ways in which we are tempted to escape what God asks of us is to multiply the “things” that he does not ask of us. For some, this will be in the order of “practices” of piety, continual meetings of Christian movements, for others dispersion in a crowd of activities, on the verge of overwork. [J. Fédry, “ Temptation in the guise of goodness”, Vie Chrétienne re 12, July 2011. Online] |
L'une des manières dont nous sommes tentés d'échapper à ce que Dieu nous demande, c'est de multiplier les « choses » qu'il ne nous demande pas. Pour les uns, ce sera dans l'ordre des « pratiques » de piété, des réunions continuelles de mouvements chrétiens, pour d'autres la dispersion dans une foule d'activités, au bord du surmenage. [J. Fédry, « La tentation sous couleur de bien », Vie Chrétienne re 12, juillet 2011. En ligne] |
The Adversary’s tactic here is a diversionary maneuver intended to uselessly exhaust vigor through practices of limited value, so that the soul no longer has energy for what is truly good, or so it simply exhausts itself and ends by collapsing. This temptation to always do more is easy in an enthusiastic community, witness the words that a superior liked to repeat: Everything, immediately, intensely, until death. A perfect example of the temptation disguised as goodness which ignores human limits. ”The spirit is eager but the flesh is weak” (Mt 14:38). If we forget it too much, we will find ourselves with our noses on the ground. If it serves as a lesson, so much the better, but if it is the others that one drives like this, it is permissible to think that the driver is downright dangerous. |
La tactique de
l'Adversaire est ici une manoeuvre de diversion pour épuiser
inutilement les forces dans des pratiques de valeur limitée afin que
l'âme n'ait plus d'énergie pour le vrai bien, ou simplement qu'elle
s'épuise et finisse par s'effondrer. Cette tentation du toujours
plus est facile dans une communauté enthousiaste, témoin cette
parole qu'aimait à répéter une supérieure : Tout, tout de suite,
intensément, jusqu'à la mort. Exemple parfait de la tentation
sous apparence de bien qui ignore les limites de l'humain. «
L'esprit est ardent mais la chair est faible » ( |
Popular wisdom has synthesized this need in a formula: whoever wants to travel far must take care of his mount. This leaves room for discernment, because it is also true that if you take too much care of your mount, you may never succeed. It is therefore not only a question of balancing but even more of prioritizing, of putting things in order, which is particularly important for the question of renunciation. |
La sagesse populaire a synthétisé cette nécessité dans une formule : qui veut voyager loin ménage sa monture. Ceci laisse place au discernement, car il est vrai aussi qu'à trop ménager sa monture on pourrait bien ne jamais arriver. Il ne s'agit donc pas seulement d'équilibrer mais plus encore de hiérarchiser, de mettre les choses dans l'ordre, ce qui est particulièrement important pour la question du renoncement. |
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LE RENONCEMENT N'EST JAMAIS PREMIER |
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No one disputes that renunciation is part of the path of spiritual life, but it is still necessary to know how to situate and measure it. Renunciation is never primary. One renounces a good only for a greater good, so attachment must always precede detachment, which is the great difference between Christian detachment and Buddhist detachment. |
Personne ne conteste que le renoncement fasse partie du chemin de la vie spirituelle, mais encore faut-il savoir le situer et le mesurer. Le renoncement n'est jamais premier. On ne renonce à un bien que pour un bien plus grand, ainsi l'attachement doit-il toujours précéder le détachement, c'est d'ailleurs la grande différence entre un détachement chrétien et un détachement bouddhiste. |
When the sun rises the stars disappear. This disappearance does not make the sun appear, the stars did not hide it, and they only disappeared to our eyes, because they are still very present although invisible to us because the sun has made the whole sky brighter than they are. |
Lorsque le soleil se lève les étoiles disparaissent. Cette disparition ne fait pas apparaître le soleil, les étoiles ne le cachaient pas, et elles n'ont d'ailleurs disparu qu'à nos yeux, car elles sont toujours bien présentes mais invisibles pour nous parce que le soleil a rendu tout le ciel plus lumineux qu'elles. |
When one is jealous in the discovery of God, the small stars of the world fade away and gradually lose their power of attraction, covered by the light of the divine sun. Faced with the immensity of God’s love, earthly goods seem too small and lose their power of fascination. It is the sun that makes the stars disappear. This simultaneity, when it is misunderstood, sometimes leads to thinking that in order to make the sun appear it suffices to extinguish all the stars: in other words, that it is enough to separate oneself from all the affections of creatures for God to fill everything; but it is not automatic. Extinguishing the stars, if possible, before the arrival of dawn would only lead to total darkness. |
Lorsqu'on avarice dans la découverte de Dieu, les petites étoiles du monde s'effacent et perdent progressivement leur pouvoir d'attraction, recouvertes par la lumière du soleil divin. Face à l'immensité de l'amour de Dieu, les biens terrestres semblent trop petits et perdent leur pouvoir de fascination. C'est le soleil qui fait disparaître les étoiles. Cette simultanéité, quand elle est mal comprise conduit parfois à penser qu'il suffit d'éteindre toutes les étoiles pour que le soleil apparaisse, autrement dit qu'il suffit de se séparer de toutes les affections des créatures pour que Dieu remplisse tout, or cela n'a rien d'automatique. Éteindre les étoiles, si c'était possible, avant l'arrivée de l'aurore ne conduirait qu'à la nuit totale. |
The profound error of such an approach lies in its unrealism: self-forgetfulness can only be practiced when the person has a well-established and solid self, both psychically and spiritually, otherwise the void will remain empty. By dint of stripping themselves - or being stripped - of everything that comprises their value, the person will see their momentum dry up and the anxiety of emptiness and nothingness arise. He who is nothing - or who feels himself to be nothing - cannot aspire to anything. |
L'erreur profonde d'une telle approche tient à son irréalisme : l'oubli de soi ne peut être pratiqué que lorsque la personne a un moi bien établi et solide, aussi bien psychiquement que spirituellement, faute de quoi le vide restera vide. À force de se dépouiller - ou d'être dépouillée - de tout ce qui fait sa valeur, la personne verra tarir son élan et naître l'angoisse du vide et du néant. Celui qui n'est rien - ou qui se sent être rien - ne peut aspirer à rien. |
There are paths of self-emptying on which only God can lead because He knows the soul and its limits, and He can sustain it with safety at the edge of the abyss. No human being can do that. A spirituality whose basis is stripping, emptiness, annihilation, does not respect the work of grace and claims to require God to come and fill the void that we have created. This path risks ending in disillusion or despair. If at this point the companion does not know how to read the warning signals which can go as far as thoughts of suicide, and on the contrary interprets these phenomena in a supposedly spiritual way, he is still pushing in the direction of destruction. One can speak of psychic murder when the young monk lost in a night which makes no sense is told that everything is going very well, because the less he exists in himself, the more God will be present in him. Now, this formula can have a meaning in a certain context, but it no longer has any when it is addressed to someone who is in the process of losing ground psychologically even more than spiritually. |
Il y a des voies de dépouillement sur lesquelles Dieu seul peut conduire parce qu'Il connaît l'âme et ses limites, et qu'Il peut la soutenir avec sécurité au bord de l'abîme. Aucun être humain n'en est capable. Une spiritualité dont la base est le dépouillement, le vide, l'anéantissement, ne respecte pas l'oeuvre de la grâce et prétend exiger de Dieu qu'Il vienne remplir le vide que l'on a créé. Ce chemin risque d'aboutir à la désillusion ou au désespoir. Si à ce point l'accompagnateur ne sait pas lire les signaux d'alarmes qui peuvent aller jusqu'à des pensées de suicide, et au contraire interprète ces phénomènes de manière soi-disant spirituelle, il appuie encore dans le sens de la destruction. On peut parler de meurtre psychique lorsque le jeune moine perdu dans une nuit qui n'a pas de sens s'entend dire que tout va très bien, parce que moins il existera par lui-même et plus Dieu sera présent en lui. Or cette formule peut avoir un sens dans un certain cadre, mais elle n'en a plus du tout quand on l'adresse à quelqu'un qui est en train de perdre pied psychologiquement plus encore que spirituellement. |
The idea that the soul must first be emptied so that God can take its place is classic in spirituality, but must be interpreted appropriately. God cannot take the place of earthly things because he is not an earthly thing. Anyone who has had a conversion knows that God burst into their inner chaos and that it was God’s presence and His light that transformed the chaos, that made it possible to bring some order to it and throw out many objects that had become useless. |
L'idée qu'il faut commencer par vider l'âme pour que Dieu puisse prendre la place est classique dans la spiritualité, mais doit être convenablement interprétée. Dieu ne peut pas prendre la place des choses terrestres parce qu'il n'est pas une chose terrestre. Quiconque a connu une conversion sait que Dieu a fait irruption dans son chaos intérieur et que c'est la présence de Dieu et sa lumière qui ont transformé le chaos, qui ont permis d'y mettre un peu d'ordre et de jeter dehors quantité d'objets devenus inutiles. |
It is therefore advisable to have clearly in mind what must remain primary. Sacrifice comes from love much more than love comes from sacrifice. A spirituality of stripping quickly becomes morbid if it is not sufficiently established that stripping manifests love but does not create it. The mainspring of sacrifice and stripping is exclusive love. By telling the Beloved that He is everything for us, we dispose of what is not indispensable and which is not Him. By manifesting love in concrete reality, by giving it depth so that it does not remain at the level of a fine speech, renunciation will help it grow, it will give it an indispensable dimension, but it will not bring it to birth. To put it simply, wanting to discover love through renunciation, stripping, emptiness or sacrifice is putting the cart before the horse. |
Il convient donc d'avoir clairement dans l'esprit ce qui doit rester premier. Le sacrifice provient de l'amour beaucoup plus que l'amour ne provient du sacrifice. Une spiritualité du dépouillement devient vite morbide s'il n'est pas suffisamment établi que le dépouillement manifeste l'amour mais ne le crée pas. Le ressort profond du sacrifice et du dépouillement est l'amour exclusif. Pour dire à l'Aimé qu'Il est tout pour nous, nous nous défaisons de ce qui n'est pas indispensable et qui n'est pas Lui. En manifestant l'amour dans la réalité concrète, en lui donnant une épaisseur pour qu'il ne reste pas au niveau d'un beau discours, le renoncement l'aidera à grandir, il lui donnera une dimension indispensable, mais il ne lui donnera pas naissance. Pour dire les choses simplement, vouloir découvrir l'amour par le renoncement, le dépouillement, le vide ou le sacrifice, c'est mettre la charrue avant les boeufs. |
Discernment is required. Attachment and detachment usually grow together. Sometimes one takes the lead and sometimes the other. Sometimes the love of God invades at first and shows us the futility of what encumbers us and which He calls us to get rid of. Sometimes He asks us first of all for a painful renunciation and will come only later - perhaps a long time later - to Himself fill the space thus created. But if we look closely, in all cases attachment to God precedes, otherwise renunciation could not be accepted and fruitful. |
Un discernement s'impose. Attachement et détachement croissent généralement ensemble. Parfois l'un prend les devants et parfois l'autre. Parfois l'amour de Dieu envahit le premier et nous montre la futilité de ce qui nous encombre et dont Il nous appelle à nous défaire. Parfois, Il nous demande d'abord un renoncement douloureux et viendra seulement après - peut-être longtemps après - pour combler de Lui-même l'espace ainsi créé. Mais si on regarde bien, dans tous les cas, l'attachement à Dieu précède, sinon le renoncement ne pourrait pas être accepté et fécond. |
Renunciation is therefore the consequence of a preference. This last word is worth emphasizing because it indicates the normal movement: spiritual wisdom must observe whether growth in the love of God accompanies the work of detachment. If this is not the case the path needs to be questioned. |
Le renoncement est donc la conséquence d'une préférence. Ce dernier mot mérite d'être souligné car il indique le mouvement normal : la sagesse spirituelle doit observer si la croissance dans l'amour de Dieu accompagne le travail du détachement. S'il n'en est pas ainsi, une remise en question du chemin s'impose. |
The realities of this world carry meaning: God speaks to us through them. Any true love that we have known makes us discover something of the Love of God, whether it is that of our parents or a beautiful friendship. We will [eventually] have to transcend these mediations by discovering that the Love of God is even greater. God can ask us to experience his sole Love by removing all support from us. When His love has already begun to fill the deep heart, the stripping, however painful, will not leave any void, because the void created will be filled by the Love of God. If, on the other hand, we create a vacuum by systematically thwarting all desire before God has become the center of the soul, this vacuum will not be filled and the soul, no longer having a taste for anything, runs the risk of sinking into acedia. |
Les réalités de ce monde sont porteuses de sens : Dieu nous parle à travers elles. Tout véritable amour que nous avons connu nous fait découvrir quelque chose de l'amour de Dieu, que ce soit celui de nos parents, ou une belle amitié par exemple. Ces médiations, nous devrons les dépasser en découvrant que l'amour de Dieu est plus grand encore. Dieu peut nous demander de faire l'expérience de son seul Amour en nous enlevant tout soutien. Son amour ayant déjà commencé à combler le coeur profond, le dépouillement, pour douloureux qu'il soit, ne laissera aucun vide, parce que le vide créé sera comblé par l'amour de Dieu. Si, en revanche, on crée un vide, en contrariant systématiquement tout désir, avant que Dieu soit devenu le centre de l'âme, ce vide ne sera pas rempli et l'âme n'ayant plus de goût pour rien risque de s'enfoncer dans l'acédie. |
The royal path of
renunciation, the one that prepares us for the strippings that God
could one day ask of us, has a name: abandonment. Wanting to strip
ourselves of our will by acts of the will is something contradictory
and can stiffen us more than soften us. Abandonment to the will of
God - also called Abandonment to Providence - leaves us master of
our clay to do with it as He wishes
(see |
La voie royale
du renoncement, celle qui nous prépare aux dépouillements que Dieu
pourrait un jour nous demander, a un nom : l'abandon. Vouloir nous
dépouiller de notre volonté par des actes de volonté a quelque chose
de contradictoire et peut nous raidir plus que nous assouplir.
L'abandon à la volonté de Dieu - appelé aussi Abandon à la
Providence - le laisse maître de notre argile pour en faire ce qu'il
voudra (voir |
Life offers constant opportunities for renunciation; it is useless to manufacture them. An old brother from Montserrat described this to a young novice who was a little too enthusiastic: Oh! M., the crosses, you don’t have to go looking for them, the Lord brings them [to your] house. And you don’t even have to place an order! The genuine formation will consist in teaching young people to carry with love all the little renunciations of everyday life, the neighbor who sings badly, the work that bores me, getting up in the morning, a word that is not very pleasant, the gloomy weather for a week, the apples we’ve been eating for six months because we were given a truckload of them, and so on. |
La vie offre des occasions constantes de renoncement, inutile d'en fabriquer. Un vieux frère de Montserrat l'avait dit à un jeune novice un peu trop enthousiaste : Oh ! M., les croix, ce n'est pas la peine d'aller les chercher, le Seigneur les porte à domicile. Et il n'est même pas nécessaire de passer commande ! La vraie formation consistera à apprendre aux jeunes à porter avec amour tous les petits renoncements de la vie quotidienne, le voisin qui chante mal, le travail qui m'ennuie, le lever du matin, une parole pas très agréable, le temps maussade depuis une semaine, les pommes qu'on mange depuis six mois parce qu'on nous en a donné un camion, etc. |
Saying yes to God in these little things that He presents to us every day in ordinary life, making them acts of love towards Him, this is what prepares us for the great trials, if they are to come one day, and also for the great test that will surely come - that of radical detachment in death. This progressively molds our will and our intelligence to adapt them to God’s plan of love for our lives. A source of peace, joy and deep love, abandonment transforms the soul and it radiates to everyone around you: the whole community will receive its fruits. |
Dire oui à Dieu dans ces petites choses qu'il nous présente chaque jour dans la vie ordinaire, en faire des actes d'amour envers Lui, voilà ce qui nous prépare aux grandes épreuves, si elles doivent venir un jour, et aussi à la grande épreuve qui viendra sûrement, celle du détachement radical dans la mort. Cela modèle progressivement notre volonté et notre intelligence pour les adapter au dessein d'amour de Dieu sur nos vies. Source de paix, de joie et d'amour profond, l'abandon transforme l'âme et cela rayonne sur tout l'entourage, toute la communauté en recevra des fruits. |
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SPIRITUALITÉ DE LA SUBSTITUTION |
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The need for balance is
no less essential in the relationship with Christ. ”It is no longer
I who live, it is Christ who lives in me”
( |
La nécessité de
l'équilibre n'est pas moindre pour la relation avec le Christ. « Ce
n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » ( |
[That such an interpretation is possible can be seen in Luther’s experience. For him, man is totally and definitively corrupt. Justification can then be accomplished solely from without, when, by faith, we are clothed with the merits of Christ which come to hide our remaining corruption. Presented in a simplistic way, the idea of substitution conveys the same idea, the same refusal to believe that we can be purified, transformed.] |
[Qu'une telle interprétation soit possible ressort de l'expérience de Luther. Pour lui, l'homme est totalement et définitivement corrompu. La justification ne peut alors se faire que par l'extérieur, lorsque, par la foi, nous sommes revêtus des mérites du Christ qui viennent cacher notre corruption qui demeure. Présentée de façon simpliste, l'idée de substitution véhicule la même idée, le même refus de croire que nous puissions être purifiés, transformés.] |
Such an approach no longer has anything to do with the love of Christ, and moreover it is psychologically destructive because healthy self-esteem is essential for a normal life. It also represents a profound pedagogical error, because to strive for a high ideal one must believe that one is capable of [attaining] it. This idea will have to be purified by realizing that everything is the work of grace, but that in no way reduces the immense esteem of God for his creature. The Virgin Mary spoke to Bernadette as to a princess: “Will you do me the favor of coming here for a fortnight?” Bernadette was overwhelmed. No one had ever spoken to her like that before, it was the first time anyone had said you to her. [i.e. you in the plural, that is the grammatical form that expresses respect, rather than familiarity] |
Une telle approche n'a plus rien à voir avec l'amour du Christ et de surcroît est destructrice sur le plan psychologique parce qu'une saine estime de soi est indispensable pour une vie normale. Elle représente aussi une profonde erreur pédagogique, car pour tendre à un idéal élevé, il faut croire qu'on en est capable. Cette idée devra être purifiée en prenant conscience que tout est ''oeuvre de la grâce, mais cela ne réduit en rien l'immense estime de Dieu pour sa créature. La Vierge Marie s'est adressée à Bernadette comme à une princesse : « Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ? » Bernadette en a été bouleversée. Jamais on ne lui avait parlé ainsi, c'était la première fois qu'on lui disait vous. |
Through baptism, the
Trinity comes to dwell in us, making our whole being a temple of his
glory, making us sons of God. There is no doubt that this temple
needs to be emptied of the oxen, poultry and money changers that
encumber it, but in this it is not a question first of all of
emptying ourselves of ourselves but rather of us emptying ouirselves
of everything that is not us, on condition that we clearly
understand what is meant here by “us”: we, as an image of God,
issued from the hands of the Creator, we with all the gifts, natural
and supernatural, which He has made for us. He wants to dwell in us
and not take our place. He wants to make this temple worthy of his
glory. ”Do you not know that you are the temple of God and that the
Spirit of God dwells in you? If someone destroys the temple of God,
God will destroy it. For the temple of God is holy and that temple
is you” ( |
Par le baptême,
la Trinité vient habiter en nous, faisant de tout notre être un
temple de sa gloire, faisant de nous des fils de Dieu. Que ce temple
ait besoin d'être vidé des boeufs, des volailles et des changeurs
qui l'encombrent ne fait pas de doute, mais en cela il ne s'agit pas
d'abord de nous vider de nous-mêmes mais plutôt de nous vider de
tout ce qui n'est pas nous, à condition de bien entendre ce qu'on
entend ici par « nous » : nous, en tant qu'image de Dieu, sortie des
mains du Créateur, nous avec tous les dons, naturels et surnaturels,
qu'Il nous a faits. Il veut habiter en nous et non prendre notre
place. Il veut rendre ce temple digne de sa gloire. « Ne savez-vous
pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite
en vous ? Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira.
Car le temple de Dieu est saint et ce temple, c'est vous » ( |
When one begins to touch upon self-esteem, the damage can be serious not only on the psychological level but also on the spiritual level: to destroy self-esteem is to destroy the possibility of entering into a relationship with God . |
Quand on commence à toucher à l'estime de soi, les dégâts peuvent être graves non seulement sur le plan psychologique mais aussi sur le plan spirituel : détruire l'estime de soi, c'est détruire la possibilité d'entrer en relation avec Dieu. |
If all my qualities are denied for fear that I will take pride in them, if I am taught to consider as earthly (in a negative sense) all that I do, all that comes from me, all that I am, imagining that everything natural must be replaced by the supernatural, how could I still imagine that God could love me? It’s not me that He loves, it’s what He would like to put in my place, that is He, Himself. And who am I in all this? Nothing but an intruder who needs to be expelled. Can I still see in Him a Father? |
Si toutes mes qualités sont niées par peur que je n'en tire orgueil, si on m'apprend à considérer comme terrestre (en un sens négatif) tout ce que je fais, tout ce qui vient de moi, tout ce que je suis, dans l'idée que tout le naturel doit être remplacé par le surnaturel, comment pourrais-je avoir encore l'idée que Dieu puisse m'aimer ? Ce n'est pas moi qu'Il aime, c'est ce qu'Il voudrait mettre à la place de moi, c'est-à-dire Lui. Et moi qui suis-je dans tout cela ? Rien d'autre qu'un intrus qu'il faut déloger. Puis-je encore voir en Lui un Père ? |
It is worth emphasizing here how, when touching upon the fundamental realities of the spiritual life, a mistake which might seem slight has serious consequences. We know of the mystique of the “exchange of the heart,” it is found for example in the life of Saint Catherine of Siena. One day when she offered her heart to Christ, he appeared to her and took it from her. For several days she had the impression that she no longer had a heart. Then the Lord Jesus appeared to her again holding in His hand a resplendent red human heart, opened her chest, introduced it there and said: “My dearest daughter, just as one day I took the heart that you offered me, now I give you mine, and henceforth it will take the place yours occupied. [Raymond of Capua,Life of Saint Catherine of Siena by the Bx Raymond of Capua, chap. vt, Paris, Lethielleux, 1903, p. 199] |
Il vaut la peine de souligner ici comment, lorsqu'on touche les réalités fondamentales de la vie spirituelle, une erreur qui pourrait sembler légère a des conséquences graves. Nous connaissons la mystique de l'échange du coeur, elle se trouve par exemple dans la vie de sainte Catherine de Sienne. Un jour où elle offrait son coeur au Christ, il lui apparut et le lui prit. Pendant plusieurs jours elle eut l'impression de ne plus avoir de coeur. Puis le Seigneur Jésus lui apparut de nouveau tenant dans la main un coeur humain rouge resplendissant, lui ouvrit la poitrine, l'y introduisit et dit : « Ma très chère fille, de même qu'un jour j'ai pris le coeur que tu m'offrais, voici à présent que je te donne le mien, et désormais, il prendra la place qu'occupait le tien. » [Raymond de Capoue, Vie de sainte Catherine de Sienne par le Bx Raymond de Capoue, chap. vt, Paris, Lethielleux, 1903, p. 199] |
But one cannot transform a mystical grace into a method. We cannot start from this purely gratuitous grace and the fruit of a long spiritual journey, to say to beginners: “When you no longer have a heart, nothing any longer [remains] of you, then Jesus (or Mary) will give you Their heart . It would be ridiculous to interpret the visions of Saint Catherine in a material sense, otherwise one would have to conclude that the heart of Jesus is now that of Catherine and that the Feast of the Sacred Heart must be changed. Jesus in giving His Heart does not lose it, and that is why he can give it ceaselessly. Likewise, when we give him our heart, he does not take it away from us, but he receives it and transfigures it. |
Mais on ne peut pas transformer une grâce mystique en méthode. On ne peut pas partir de cette grâce purement gratuite et fruit d'un long chemin spirituel, pour dire à des débutantes : « Quand vous n'aurez plus de coeur, plus rien de vous, alors Jésus (ou Marie) vous donnera son coeur. » Il serait ridicule d'interpréter matériellement les visions de sainte Catherine, sinon il faudrait conclure que le coeur de Jésus est maintenant celui de Catherine et que la fête du Sacré-Coeur doit être changée. Jésus en donnant son Coeur ne le perd pas, et c'est pour cela qu'il peut le donner indéfiniment. De même, lorsque nous lui donnons notre coeur, Il ne nous l'enlève pas, mais Il le reçoit et le transfigure. |
This is probably the key word that makes all the difference: not substitution but transfiguration. The visions of Saint Catherine express that her heart was so immersed in that of Christ, that he returned it to her filled with His own love and transfigured. But it is indeed her own heart, that of Catherine Benincasa, which beats in her chest and who now lives and sustains the life and Love of her Beloved. “It is no longer I who live, it is Christ who lives in me.” |
Tel est probablement le mot-clef qui fait toute la différence : non pas substitution mais transfiguration. Les visions de sainte Catherine expriment que son coeur a été tellement plongé dans celui du Christ, qu'Il le lui rend empli de son propre amour et transfiguré. Mais c'est bien son coeur à elle, Catherine Benincasa, qui bat dans sa poitrine et qui vit maintenant de la vie et de l'amour de son Bien-Aimé. « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. » |
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