10 DE LA DOUCEUR ET DE L'AGRESSIVITÉ

Dispose-toi à être doux et combatif: I'un envers ton semblable, l'autre envers l'ennemi. C'est à cela, en effet, que sert l'agressivité 24 : à combattre le serpent avec hostilité. Mais voici à quoi sert la modération de l'homme doux: à être patient envers son frère par la charité, tout en faisant la guerre à la pensée. Que l'homme doux soit donc combatif, sa douceur ne concernant pas les pensces fourbes tout comme son combat ne se tourne pas contre ses semblables. Ne détourne pas lSusage de l'agressivité vers une action contre nature, de sorte que tu t'irrites contre ton frère, en imitant le serpent, et que tu lies amitié avec le serpent en donnant ton assentiment aux pensées.

L'homme doux, même s'il souffre les pires avanies, ne s'écarte pas de la charité. Car grâce à elle il est patient et il résiste! il est bon et persévère. Si, en effet, la patience vient de la charité, combattre avec agressivité ne vient pas de la charité. Car l'agressivité réveille la tristesse et le ressentiment, tandis que la charité les diminue tous les trois. Si tu gardes un pied ferme dans la charité, fais plus attention à elle qu'à celui qui te heurte. Sers Dieu avec crainte et charité, avec crainte comme ton Maître et ton Juge, avec charité comme Celui qui aime les hommes et les nourrit. Celui qui a acquis les vertus de la charité tient captives les passions mauvaises, et celui qui reçoit de la Sainte Trinité ces trois vertus: la foi, l'espérance, la charité sera une citadelle à trois murs, fortifiée par les tours des vertus.

On ne te proclamera pas seulement charitable parce tu ne prends rien à autrui, on te reconnaîtra comme renonçant parce que tu donnes sans compter. C>uand tu donnes une chose matérielle, efforce-toi de jeter des semences pures, afin qu'au Eieu de froment il ne te sorte pas de l'ortie. Souvienstoi [p.33] de Vieu dans ce que tu offres, Lui qui donne et qui reçoit, de façon qu'il porte à ton compte, en même temps que des louanges, les salaires du renoncement.

11 SOIS PAUVRE SANS HONTE

Celui qui ne possède rien connaît le plaisir de vivre sans souci, tandis que celui qui aime posséder connâît sans relâche le souci douloureux de la richesse. Tu chasseras la foule captive des pensécs chaque fois que tu ne livreras pas ton cœur aux préoccupations matérielles. Tu porteras aussi la croix sans te laisser distraire chaque fois que tu refuseras le désir de posséder, quand la penste de la matière te prédit vieillesse et maladies, afin que tu partages ton espérance entre Dieu et les richesses.

Celui qui a choisi l'ascèse du renoncement, qu'il se défende avec le rempart de la foi, qu'il se fortifie avec la charité et qu'il s'affermisse avec l'espérance. Car la foi, loin d'être une négligence, est le fondement des biens dans l'espérance de la persévérance et dans la charité de la vie.

Lorsque tu as renoncé à toutes les réalités matérielles du dehors, fais attention aux penstes ténébreuses qui te rendent la pauvreté honteuse et qui te présentent l'indigence, l'indignité et le déshonneur, afin que les (démons) meurtriers fassent naître frauduleusement (en t<ri) le regret d'avoir recherché une brillante vertu comme celle-là. Si donc, par ton intelligence, tu domines au combat, tu découvriras plutôt que ces états dont ils te font honte, c'est a cause d'eux qu'une couromle t'est tressce. Et, de fait, en renonçant, tu renonces pour s2agner cela même dont les démons te font honte. [p.34]

Ne va donc pas reculer devant la lutte contre les pensées du dedans, parce que ce n'est pas au début du renoncement qu'on en loue la fin, mais c'est à la fin de la persévérance qu'on en couronne les débuts. Et ce n'est pas seulement dans l'ascèse corporelle que l'on applaudit les combats, mais c'est encore dans la lutte contre les pensées que l'on recherche le couronnement.

12 ÉVENTE LES RUSES DE L'ENNEMI

Juge les pensées au tribunal de ton cœur afin qu'une fois les bandits disparus, le chef des bandits prenne peur. Et, de fait, celui qui est le censeur minutieux de ses pensées est aussi l'amant véritable des commandements. Donc, lorsqu'a surgi dans ton cœur une pensée difficile à discerner, enflamme alors contre elle sans relâche des mortifications intenses: ou bien elle fuira l'ardeur car elle ne supportera pas ce qui lui est contraire, ou bien elle la tolérera, comme une familière de la route droite 25 .

Mais parfois les démons suggèrent au cœur une pensce vraiment belle et se transforment aussitôt pour feindre de s'opposer à elle, afin que de cette opposition tu déduises qu'ils connaissent jusqu'aux intuitions de ton cceur. Mais ce n'est pas la seule raison, c'est aussi pour plaider que c'est ta conscience qui juge que grâce à cette opposition le mal a été vaincu par le bien. Parfois encore, ils te montrent à ton insu leur propre machinatic)n afin que tu te croies toi-même avisé. [p.35]

Lorsque les pensées nous transportent en un lieu qu'elles nous ont suggéré d'aimer, elles nous le font regretter afin de nous rendre instables en tout lieu et stériles. Aussi ne nous répandons pas de lieux en lieux, mais tournons-nous plutôt vers le recueillement et les mortifications, parce que c'est de notre frivolité que les pensées tirent contre nous leur puissance. Mais celui qui connaît bien la tentation d'une pensce dans le lieu où il a été appelé, qu'il y reste auprès de Dieu, tandis que celui qui ne la connâit pas marche encore en combattant.

Que le changement de lieux se fasse vers des endroits plus propices à l'Esprit et non vers ceux plus propices au repos. Car la persévérance, la patience et la charité rendent grâces dans les tribulations; tandis que l'acédie, la légèreté et l'amour de soi se réjouissent dans les périodes de lepos. Qui ne reste pas recueilli fait la guerle à son âme par l'intermédiaire des sens et des visions; tandis que celui qui aime le recueillement, gardant ses sens, fait la guerre aux pensees.

13 LES PIÈGES DE L'ORGUEIL

Que ta raison rassemble donc sous le commandement de la loi la rangée des sens afin que ni par la vue ni par l'ouie tu ne troubles les fouets qui châtient les maux dans ton âme. Etant composé de deux essences 26 , veille à attribuer à chacune son rang, afin que l'une prédomine et que l'autre ne la contredise pas. Et ne laisse pas le tyran commander. [p.36] car, celui-ci ayant été livré aux flammes, tu lui abandonneras jusqutà ton dernier sou (cf Mt 5, 26>.

Chaque fois que, faisant la guerre aux causes des passions, tu les mets en fuite, qu'une pensée mechante ne t'enfle pas, de peur d'accorder foi à un esprit d'erreur et de perdre la tête. Cherche, au contraire, à évaluer les excès pour lesquels tu te mortifies, de façon à ne pas manquer le but de tes exploits à cause des pensées intimes.

Certains, loués pour leurs exploits, avec le temps ont relâché leurs efforts, et la louange a passé tandis que leurs efforts ont été réduits à néant. Certains, malmenés par l'ampleur de leurs bonnes actions, ont été estinlés grands et la conscience de leur âme a été blessée, puis la maladie de la renommée s'exacerbant, les pensées, égarant l'âme loin de ses blessures, ont emporté le fruit de leurs mortifications dans les louanges. Lorsque les plus appliqués dans les mortifications s'enrichissent des honneurs des hommes, alors les démons leur amènent aussi les déshonneurs qu'ils (leur) ont préparés, afin que, éloignés des honneurs, ils ne supportent pas les déshonneurs ni ne tolèrent les offenses.

Chaque fois que tu manifestes un grand repentir pour tes péchés, les pensées grandissent les combats de tes mortifications et rapetissent les pé chés, et souvent les dissimulent dans l'oubli, ou même font savoir qu'ils ont été pardonnés, afin qu'ayant reculé d'un pas devant les mortifications, tu ne juges pas u tile d'augmenter les lamentations que tu pousses sur tes fautes.

14  COMBATS DANS LE SECRET

Mais celui qui lutte avec ses poings pour briser les passions qui l'ont attaqué mènera au combat des hoplites plus[p.37] nombreux que les passions. Ne perds pas le souvenir de tes fautes même si tu t'es repenti; souviens-toi, au contraire, de t'affliger de ton péché en vue de t'humilier, de manière à, t'étant humilié, briser nécessairement ton orgueil.

Si un homme qui a commis des crimes veut adopter ensuite une vie excellente, qu'il se dresse face à ses (mauvaises) actions en les échangeant contre les bonnes. Et, de fait, celui qui dresse devant chaque méchanceté l'action inverse touche le dragon avec les flèches du carquois intelligible des vertus. Mais l'arme la plus aiguiste ele la bête, c'est la vaine gloire qui transperce les mortifications. Or, celui qui s'en est emparé à l'avance avec les armes cachées de ses travaux 27 , s'est approché de la tête du diable pour la défoncer complètement.

Mets le sceau du silence sur les champs de tes mortifications afin que, révélés par ta langue, ils ne te soient pas dérobés par la gloire. Cache ta langue dans le mode pratique 28  de l'ascèse; et, de fait, en restant silencieux, tu auras comme témoins de ta vie tes mortifications, compagnes dignes de foi. Celui qui, pour témoigner de ses mortifications présentes, ne trouve jamais personne, qu'il n'use pas de sa langue pour témoigner en sa propre faveur.

Certains, en effet, qui se sont soustraits à la dureté des mortifications, pour masquer leur frivolité, mettent en avant leurs (bonnes) actions d'autrefois, en présentant de façon peu solide cles témoins reconnus, pour des travaux qui ne sont plus d'actualité. De même que tu caches aux hommes tes péchés, de même cache loin d'eux tes mortifications. Et, de fait, ce qui rivalise avec les secrets de ton cceur, ce sont les crocs-en-jambe secrets, et les contre-attaques résistent aux démons.

Mais si, d'un côté, nous tenons soigneusement loin des regards nos erreurs et que, de l'autre, nous dévoilons imprudemment les mortifications que nous entreprenons contre les démolls, nous obtenons dans les deux cas le résultat contraire. Rougis «:le révéler publiquement tes [p.38] turpitudes, de peur de rendre honteux et méprisable ce qui est utile à ton âme; mais redoute aussi d'exhiber tes mortifications de peur qu'une accusation complaisante ne cause la ruine de ton âme. Mais si tu ne montres qu'à Dieu seul les fautes qui te font honte, ne montre pas aux hommes les combats que tu mènes contre elles, afin d'éviter qu'ils ne croient que tU mérites le couronnement de la victoire.

15 JOlNDRE LA GNOSTIQUE A LA PRATIQUE

Ceux qui reçoivent de la grâce la capacité de supporter les mortifications, qu'ils ne croient pas qu'ils la tirent de leur propre force. Car l'auteur de tous les biens pour nous, c'est la parole des commandements, de même que, celui des maux c'est le Trompeur perfide. Donc, pour les bonnes actions que tu as accomplies, offre ton action de grâces à l'auteur des biens; et pour les mauvaises qui te tourmentent, jette-les à leur initiateur.

A la fin de toute activité, présente une action de grâces à Celui qui est meilleur afin que, ten offrande ayant été apportée selon la loi, le vice rougisse de honte. Car celui qui à l'acte unit l'action de grâces, possédera inviolable le trésor de son cœur, ayant doublé les tours du rempart qui le protège du vice.

Louable est l'homme qui a joint la gnostique à la pratique 29  afin d'arroser le pays de son âme avec l'eau des deux sources pour faire cloItre la vertu. Car la gnostique donne des ailes à l'essence intelligible par la contemplation du Bien, tandis que la pratique fait mourir les membres qui [p. 39] sont sur la terre: la fornication, I'impureté, la passion, le vice, la mauvaise convoitise. Ceux donc qui, avec ces deux choses, se sont ceints de l'armure complète, fouleront aux pieds aisément ensuite la méchanceté des démons.

Les démons font la guerre à l'âme par l'intermédiaire des pensces et ils se voient opposer une guerre plus rude grâce à la persévérance; effrayés, ils vont ensuite au combat en regardant avec défiance le champion vigoureux du pugilat. Si tu veux diriger les opérations contre la phalange des démons, obstrue les portes de ton âme avec le recueillement, mais laisse encore les paroles de ton père spirituel toucher ton oreille, afin d'embrasser alors davantage les épines des pensées par ce que tu auras appris après avoir écouté l'enseignement paternel. Ne sois pas le j uge des œuvres mais le censeur des mots.

16 NE TE SOUSTRAIS PAS AUX MORTIFICATIONS

De telles pensées ont, en effet, I'habitude de te conduire à faire le procès de la pratique de ton instructeur, afin de t'instituer le juge sévère de celui-ci puis de t'écarter d'une instruction si utile. Ne refuse pas de t'instruire, même si tu as des dispositions pour la gnostique. Car, si la pratique se trouve disjointe de la gnostique, celui qui réalise l'harmonie d'une seule des deux vertus doit subir l'horrible châtiment du jugement. Qui arrache de son oreille le commandement de son père spirituel, sera sDurd aussi au commandement de la loi.

Ne parle pas seulement avec plaisir des exploits des Pères, exige encore de toi-même de les accomplir avec les plus grandes mortif1cations. Celui qui, en multipliant les [p.40] mortifications recherche à quelle mortification correspond quelle pensée, se découvre expert dans la lutte contre l'erreur. Mais, parmi toutes les mortifications de ton intelligence, si tu en négliges une, celle qui te l'a soustraite s'insinue à sa place.

Souviens-toi de garder ton cœur par la compréhension des mortifications, de peur que l'oubli du souci du Bien ne te le ravisse, et ne le rende captif des pensées. Cal l'oubli de la captivité s'élance vers le vice, afin que, l'oubli ayant dérobé ton intelligence, le vice s'empresse de s'introduire.

L'intelligence dérobée à Dieu et mise hors de portée du souvenir, pèche indifféremment encore par les sensations venues du dehors . Un tel homme, en effet, est incapable de gouverner son oule ni sa langue parce qu'il a laissé échapper le charme des mortifications, influencé par ce qui vient du dehors. Quand on se plaît à entendre blâme

quelqu'un, on est deux à collaborer avec deux esprits collaborateurs. Car écouter dire du mal et en dire sont deux actions collaboratrices et qui s'aiment l'une l'autre pour la ruine du cœur.

17 FUIS LES MÉDISANTS

Ferme tes oreilles aux médisances afin de ne pas viole deux fois la loi avec elles: en t'accoutumant à une terrible passion, et en n'arrêtant pas ceux que leur langue démange. Celui qui aime à critiquer ravage l'âme des hommes meilleurs, en transperçant leur ouie abîmée par les calomnies, alors que celui qui esquive la langue qui insulte le prochain, fait fui également sa propre insulte.

Celui qui préte à l'insulteur une écoute bienveillante absorbe le venin de la bête par ses oreilles. Que ton oreille [p.41] ne goûte pas à ce breuvage amer, de peur que toi aussi tu ne transmettes un tel poison à autrui. Ne laisse pas ensorceler ton oreille par des médisances, de peur que, vendu à une passion, tu ne sois asservi à une multitude d'autres. Car une seule des nombreuses passions, ayant trouvé à se loger chez toi, en introduit encore d'autres dans la même bergerie.

La raison est asservie à une foule de maux chaque fois qu'attelée au joug d'une passion, elle dételle les mortifications. Celui qui tente de connaître les réflexions des autres ne cherche pas à connaître rcellement ses propres actions. Ne critique pas celui qui a quitté la vie en disant qu'il a vécu dans la négligence, afin de ne pas te faire le juge amer d'un mort, pour en avoir pris l'habitude envers les vivants.

Ne t'occupe pas de ceux elui commettent des fautes avec une pensée fanfaronne qui t érige en juge, mais fais attention à toi-même 30  avec une pensée vigilante et examine tes actions. Gémis quand tu commets une faute, et ne t'enfle pas quand tu agis bien, ne t'enorgueillis pas de ne pas être méprisé, de peur de revêtir le mal comme une parure.

Certains, en effet, incapables de se faire connaître pour leur piété, se sont efforcés de se faire connaître, mais pour leur vice. D'autres, gonflés d'envie, lancent de haut des prétextes sans faire aucun cas de ceux qui sont affermis dans les vertus. Certains sur qui l'entourage murmure pour de petites choses, s'habillent d'une vie vénérable non pour pleurer leurs petites fautes par les mortifications, mais pour couvrir d'ombre les rumeurs qui les blâment.

Au contraire, ne va pas t'embellir aux yeux du Trompeur et ne te réjouis pas d'être trompé. Car, si tu ne te joins aux fervents que pour le nom, ce n'est pas pour Dieu mais pour les hommes que tu travailles. Ne fais pas confiance à celui qui vit sans mortifications, même si un grand nom lui fait cortège. Il est aimé pour la grâce de son visage et le temps devient son accusateur. [p.42]

18 LA JALOUSIE

D'un ami qui te craint fais un critique, afin de trouver un abri contre tes fautes, mais cache en toi la partie enviée plutôt que celle qui envie. Lorsque ton ami, vaincu par les louanges qui te vantent dans les mortifications, devient envieux au point de lancer, même devant tout le monde, le javelot des paroles de vaine gloire sur tes mortifications, de facon à couvrir d'ombre, en te critiquant, la gloire qui se répand à ton sujet, alors ne te préoccupe pas de sa méchanceté et n'en sois pas piqué, afin de ne pas faire monter un amer venin dans ton âme. Car c'est l'c\uvrage de Satan qui vise, lui, à l'enflammer d'envie et toi, à te consumer d'amertume. En revanche, humilions-nous plutôt et devançons de tels hommes en leur rendant honneur ex en apprisoisant, au besoin à table, leur caractère aigri par la jalousie.

Ne fais pas par jalousie de reproches à ton ami comme s'ils venaient de quelqu'un d'autre, afin de te rendre innocent comme si les reproches venaient vraiment d'une autre bouche, et de t'exalter comme si tu étais irréprochable. Car c'est un déguisement de Satan qui, sous l'aspect d'un serpentw blâme le Très-Haut afin d'attribuer à Dieu sa propre envie comme si cela venait en réalité d'une autre bouche, et de faire croire que lui-même en est dépourvu (cf. Gn 3, 1).

Ne tente pas, comme si tu voulais faire de ton frère un esclave subalterne, de le prendre en faute, afin de ne pas te découvrir comme un allié de Satan. Celui qui a commis une faute, qu'il ne sursreille pas aussi les autres quand ils parlent ou font des fautes, dans le but de se dire qu'il n'est pas seul à tomber dans le mal: c'est précisément cet acte même qui a provoqué la chute du Diable. Qu'il se repente au contraire pour les actes déplacés qu'il a accomplis, en reconnaissant la plainte que pousse contre eux la tristesse, et il introduira aussi le recueillement qui préside aux mortifications et qui lui révèle la contemplation aux yeux multiples des vertus.[p.43]

Celui qui tient sa langue en repos, qu'il agisse courageusement contre les pensées. Car le courage de l'âme ne se montre pas seulement dans le repos de la bouche mais encore dans la vaillance à l'égard des pensées et dans la constance face aux offenses et aux injustices. De là vient que les terribles fouets du Diable sont brandis tout autour quand deux ascètes se rencontrent

19 CONTRE L'ESPRIT DE FORNICATION

Qu'il surveille non seulement sa bouche mais aussi son cœur, car parfois l'œil de l'âme est obscurci par l'œil de la complaisance, l'esprit étant sur le point de s'arrêter. Que ton esprit soit frappé de cécité devant les turpitudes, car le Seigneur rend sages de tels aveugles, mais qu'il soit clairvoyant devant les belles actions, pour te rendre aveugle devant les mauvaises.

Comprends bien qu'il y a deux fornications, unies mais distinctes: celle du corps et celle de l'esprit. Chaque fois qu'une pensée de fornication s'accouple avec ton esprit, ton âme se coule dans le moule de l'erreur. C'est un visage de femme dont le démon prend la forme afin qu'ensorcelée, I'âme s'accouple avec lui. Il adopte l'apparence d'une silhouette, le démon qui est sans chairfi pour faire forniquer l'âme avec une pensce licencieuse. Ne t'incline donc pas vers une image inconsistante afin de ne pas faire de méme envers la chair. Ils ont été égarés par un esprit de fornication, ceux qui ne repoussent pas avec la croix les adultères intérieurs des esprits.

Maltraite les penstes en t'abstenant de nourriture, afin qu'elles ne te parlent pas de fornication mais de faim. Verse [p.44] une larme pendant la vigile des prières, afin de recevoir un secours pour la guerre présente. Au moment de la guerre menée par la fornication, refuse les innritations à dîner et, en servant l'hôte qui survient, tu le feras reposer tandis que toi, tu t'entoureras en secret de la barrière du jeûne 31 . Que te soit payé double le salaire pour l'un et l'autre travaux, à toi qui attribues à chacun la pratique en vue de la vertu. Ne mange pas avec ton frère pour le ventre mais cohabite avec la charité pour le Christ. Manger à satiété nourrit des pensées et l'homme ivre abreuve son sommeil d'imagination. Il est mort, passé le gosier, le plaisir de la sensualité, et elles expirent dans le tombeau, les lubricités du ventre. Les mortifications de l'austérité finissent dans le repos tandis que les formes de la sensualité finissent dans les flammes. Qu1 flétrit la fleur de sa chair par l'ascèse s'habitue chaque jour dans sa chair à sa propre mort.

Que la partie rationnelle du cœur prenne bien la mesure du corps afin, quand ce dernier a été blessé, de ne pas elle aussi peiner. Que la chair se satisfasse en retranchant les besoins naturels. Que ton ascèse corporelle soit intégrée à tes mœurs, afin que tu apprennes à subir les mortifications avec le cœur et à les partager avec l'âme.

20 PERSÉVÈRE DANS L'HUMILITÉ

Ceux qui font briller dans l'ascèse la pâleur de leur visage, qu'ils rejettent l'éloge des hommes avant même qu'il n'arrive, car la pensée l'introduit en eux dès avant qu'il ne survienne. Chaque fois que tu persistes à t'abstenir de vin, d'huile et [p.45] de denrées superflues, les pensées te font calculer les jours de jeûne ainsi que les compliments, pour te faire reculer d'un pas devant les mortifications de l'ascèse corporelle. C'est donc à bon droit que tu rétorqueras aux calculateurs imbéciles par tous les arguments qui les contredisent afin de renverser leur bêtise.

Un frère, loué pour ses mortifications contre les démons par ceux qui étaient en lui chantait: « Qu'ils reculent sur le champ, couverts de honte, ceux qui me disent: Bravo ! Bravo ! » (Ps 69, 4) 32 . Ne tolère pas la pensée de ceux qui te présentent un long cycle d'années dans la vie solitaire, afin qu'ils ne fassent pas dépendre tes mortifications de leur durce et pour ne pas être, en persévérant dans la vie au désert le prisonnier vivant de la vantardise. Au contraire, en persévérant dans l'indignité, souviens-toi que tu es un serviteur inutile (cf. Lc 17, 10).

A cause de sa profonde vieillesse, il y avait un ancien, parmi les ermites aguerris, que l'on s'efforçait d'arracher au désert. Et lui de répondre: « Cesse de me faire violence, car je n'ai pas encore, moi pécheur, été rappelé d'exil. » Et comme je cherchais à comprendre cette parole de son enseignement, il dit: « Prends la peine, d'abord, de chercher à connâître la crainte innce, et alors tu trouveras en to i la parole d'expérience qui enseigne à l'homme la connaissance. » Et le même, interrogé encore sur la crainte, répondit ainsi: « Celui qui a le souci de se souvenir de la mort est aussi guidé sur la route de la crainte du jugement. » 33 .

Que la crainte te rende familier chaque jour des divines Ecritures. Car c'est par leur fréquentation que tu chasseras ta familiarité avec les pensées. Celui qui, par la méditation, amasse dans son cœur le trésor des divines Ecritures, en [p.46] expulse facilement les pensées. Au cours de la lecture nocturne pendant les vigiles, quand nous écoutons les divines Ecritures 34 , ne laissons pas mourir nos oreilles dans le sommeil et ne livrons pas notre âme à la captivité des pensées. Au contraire, avec l'aiguillon des Ecritures, stimulons notre cœur de façon, en stimulant notre attention, à pourfendre l inattention opposée.

21 SUR LA RANCUNE

Certains se lient d'amitié avec les hommes pieux pour prendre soin de leur réputation et non de leur âme, afin de se procurer une parure sans effort. Mais celui qui, parce qu'il se souvient des choses du ciel, est enflammé de charité, chasse de son imagination la complaisance aux choses de la terre.

Ta conscience témoigne à ton sujet: ne l'abandonne pas à une pensée qui la dédaigne et qui traite ta faute avec des mots doux. Ne perds pas ton temps avec un amoureux de la polémique afin de ne pas combattre la passion par la passion et de rester en dessous de la vertu. Ne t'exalte pas avec une pensée orgueilleuse qui souffle contre un vent de sens contraire.

Il n'est pas d'éloge pour une langue qui parle à toute allure. La gloire, au contraire, vient sur les lèvres qui remuent posément. Quand tu écoutes des discours, interroge ton esprit et alors du donneras un avis distinct. N'induis pas ton esprit en erreur par des paroles irréfléchies afin que ta langue [p.47] canancenne 35  ne soit pas précipitée dans l'abîme. Qu'un esprit beau parleur de t'égare pas, car en lui se tapit le mensonge rusé.

Celui qui est piqué par les insultes d'autrui, s'il ne les jette pas au Diable, réveille en lui-même la foule des pensées de celui-ci et l'incite encore plus à préparer des traits contre lui, du fait que son âme s'affaisse, blessée par de tels coups. Si, pour accomplir ton service, tu marches en terre étrangère, ne t'attends pas à être traité en hôte par tout le monde et considère-toi comme indigne de la gloire, afin de mettre ainsi en fuite la pensée de l'insulte, même si elle dit vrai.

Je pense qu'en l'absence de charité, subissant les plus grandes insultes ou les pires injustices, tu n'en garderas pas rancune mais tu les béniras. Car celui qui éprouve de la rancune envers les démons n'en éprouve pas envers les hommes. Mais il est en paix avec les démons, celui qui a de la rancune contre son frère C'est un incendie du cœur que le ressentiment face à la contrariété, alors que les âmes des êtres sans rancune sont baignées de rosée spirituelle. Les charbons projettent des étincelles de feu, de même les âmes rancunières projettent des pensces méchantes. De même que la piqAre d'un scorpion produit une douleur très aiguë, de même une âme rancunière produit un venin très amer.

22 DEUX DÉMONS CONTRAIRES: FORNICATION ET VAINE GLOIRE

Aie de la rancune contre les esprits de fornication et de vaine gloire, deux amers démons opposés l'un à l' autre: l'un, [p.48] en effet, fuit les visages, I'autre se réjouit de les voir. Le démon de la licence bondit promptement sur le combattant de l'ascèse, après lui avoir lancé à l'improviste ses insanités, parce qu'il ne supporte pas la chaleur de la torche ardente des mortifications; et celui qui s'est relâché de son abstinence par la flatterie des plaisirs, il l'envahit peu à peu pour devenir le familier de son cœur, afin que ce dernier, tout brûlant, s'entretienne avec les vices, soit capturé et que sa haine du péché prenne fin. Le démon de la vaine gloire, trompeur cher à la foule, surgit sournoisement dans l'âme de ceux qui s'adonnent aux mortifications, pourchassant en eux la gloire due aux mortifications qu'ils mettent en œuvre.

Celui donc qui veut, avec l'aide de Dieu, venir à bout de ces démons, qu'il affaiblisse sa chair pour combattre la fornication et qu'il humilie son âme pDur combattre la vaine gloire. C'est ainsi, d'une part, que nous pousserons dehors la gloire futile et que nous plairons à Dieu; et, d'autre part, que nous exhalerons les imaginations impures et que nous purifierons notre cœur des plaisirs.

Il est très grave que notre cœur soit enseveli sous l'accoutumance aux plaisirs, et il faut bien des efforts pour tondre à fond la prairie des maux. N'accoutume donc pas ta pensce à vivre dans la familiarité des plaisirs. Car dans le commerce des maux un feu est attisé En t'échauffant ainsi, en effet, ils te font déclarer que c'est un effort pénible de maîtriser le brasier de la nature, que longue est la vie dans l'abstinence, et ils t'apportent aussi des souvenirs de scènes honteuses qu'ils te présentent en imagination pendant la nuit, t'apparaissant sous la forme d'images brûlantes de l'erreur. Puis, ayant allumé dans ta chair une ardeur plus forte encore, par la loi du péché ils introduisent en toi cette résolution: que tu n'es pas de taille à contenir la violence de la nature et que, si tu as plèché aujourd'hui par nécessité, demain, en revanche, tu t'en repentiras selon le commandement. Car la Loi est amie des hommes et elle est indulgente envers ceux qui se repentent de leur péché. Et ils rapportent le cas de certains qui se sont écartés de l'abstinence et se sont à nouveau repentis, afin de rendre vraisembablew à partir de ces exemples, le conseil que donne leur ruse. Si bien que, [p.49] ayant séduit l'âme par un repentir inversé, ils font du temple de la continence un lieu de fornication. Ainsi les serpents au double langage insinuent-ils en siMant leur pensée dans l'atelier troublé du cœur.

23 TES ARMES: ABSTINENCE, CHARITÉ, PRIÈRE

Mais toi, homme de l'abstinence, ne sois pas, sous prétexte d'un nouveau repentir, appâté par des espoirs incertains, car beaucoup qui sont tombés ont été aussitôt agrippés tandis que d'autres n'ont pas été de taille à se relever, liés par l'accoutumance aux plaisirs comme par une loi 36 . Comment sais-tu, en effet, homme, si tu vivras pour te repentir encore, du fait que tu te souscris des annces de vie ? Et, alors meme que tu commets une faute, tu es complaisant envers ta chair quand il faudrait plutôt que te plaise le souvenir de la mort, ne serait-ce que pour peindre à ton cœur le châtiment redoutable du jugement, si tu étais quelque peu capable d'éteindre l'arrogance en feu de ta chair.

Car tu n'éteindras pas les passions sans mêler auparavant à ta chair les mortifications qui visent à les détruire; ni, assurément, celles de l'âme sans faire auparavant pleuvoir dans ton cœur les fruits de la charité. Les passions du corps trouvent leur origine dans les besoins naturels de la chair: [p.49] contre elles agit l'abstinence. Les passions de l'âme, elles, prennent naissance dans les besoins de l'âme: contre elles agit la charité. La charité est le lien de l'impassibilité 37  et l'anéantissement des passions, qui apporte la patience, refrc~idit la bouillante agressivité, met en avant l'humilité et abat l'orgucil. La charité ne possède rien en propre sauf Dieu, car elle est Dieu.

Celui qui vient d'être admis dans l'assemblée radieuse des moines, qu'il repousse les pensces qui se présentent à lui comme des louanges prodiguces par sa famille, afin de ne pas rechercher l'éloge des hommes mais la béatitude des commandements. Qu'il résiste hardiment aux démons qui lui jettent leurs lâchetés. Car vous ntavez pas reçu un esprit de lâcheté pour de nouveau avoir peur (cf. Rm 8, 15) ! Que par l'esprit de lâcheté il ne se recroqueville pas de peur, qu'il ne tremble pas devant les bruits nocturnes des démons lors même que ceux-ci n'ont pas d'autorité sur des porcs (cf Lc 8, 32) ! Quand donc il est sorti de sa cellule à une heure tardive, qu'il ne soit pas terrorisé, et qu'il ne rebrousse pas chemin en prenant la fuite comme si vraiment les démons lui couraient après ! Mais, ayant fléchi les genoux à l'endroit même où il est pris de lâcheté, qu'il se mette à prier. Car ils ne tomberont pas sur toi, même s'ils t'ont ainsi terrorisé. Une fois relevé, enhardis ton cœur, implore en psalmodiant: « Tu ne craindras ni la frayeur nocturne, ni le trait qui vole de jour, ni un objet qui passe dans l'abscurité, ni un incident fortuit, ni le démon de midi. » (Ps 90, S-6) Ayant agi ainsi, en effet, une fois pour toutes, tu chasseras plus vite loin de toi le démon de la lâcheté. Car, incapables de nuire en fait, ils accablent l'âme de lâcheté par leurs imaginations afin que les hommes croient forts et puissants des êtres faibles et impuissants.

jU MOIN!i EULOGE 51

~4

NE MfiPRISE PAS LA PRATIQUE

Ne t'habille pas de trop beaux vêtements, afin de ne pas revêtir le démon de la vaine gloire de manière ostensible. Car ce n'est pas dans la beauté des vêtements que l'on porte les vertus, mais dans la beauté de l'âme que l'on porte les broderies d'or des mortifications. En revanche, revêts-toi de la crainte divine des supplices du jugement, de façon, par la crainte du feu, à te revêtir d'une chaleur inextinguible, et, face à la malignité des pensées, à être plus vite assagi. Car la crainve est le debut de la sagesse (Si l, 14).

Celui qui dénonce la tromperie des pensées par l'expérience ne sera pas aisément reconnu par tous, sauf par ceux qui en ont fait l'expérience. Car la route qui conduit à la gnostique en cette matière est tracée par l'expérience. L'origine, en effet de l'une et l'autre, c'est la pratique: en nous emparant d'elle à force de mortifications, nous appren­drons à nous connaître nous-mêmes, nous condamnerons les pensces et nous apprendrons à connaître Dieu.

Celui qui, ayant accompli l'émiglation pratique et l'immigration gnostique, oint avec habileté des pensées simples pour la lutte 38 , qu'il veille à ne pas vanter la gnos­tique pour exhiber sa gloire. Mais si une de ces pensées se conduit en brigand en le grandissant, qu'il appelle au secours le païen Jethro qui donna au grand prophète Moïse un sage conseil inspiré par la grâce, en guise de jugement (cf. Ex 18, 1 7-23) 39 .[p.52]

Que la puissance de tes pensées réside dans tes travaux. Car les actes qu'on doit faire sont plus près de la sagesse que les mots qu'on doit dire, de même quXils sont plus mortifiants. Comme, quand la pratique est présente, les discours rayonnent, quand les tras-aux sont absents, les discours ne rayonnent pas de leur puissance. Ce ne sont que griefs de cheveux blancs, paroles de jeune homme, et lèvres frivoles agitées par le rire. Mais celui qui trouble et est troublé sans raison restera loin de la sérénité et, sans qu'il y ait de houle, sera battu par la tempête.

25 AIME L'HOSPITALITÉ

N'accable pas de mots d'esprit la langue intempestive, afin de ne pas subir la même chose de la part de ceux que tu ne voudrais pas. Evite de faire trébucher la langue du prochain afin, toi aussi, d'échapper au croche-pied du Diable. Evite de faire honte à ton frère pour sa faute afin de ne pas déchoir de la compassion comme si tu n'étais pas son semblable.

Celui qui manque de bonté et de charité envers son frère, comment serait-il un membre de la charité porteuse du Christ ? Lorsqu'un frère te rend viszte en période de jeûne intense, n'accueille pas les pensces perfides qui te font supposer qu'il vient troubler ton recueillement et rompre ton jeûne. Elles font ainsi afin qu'à la vue de ton frère, tu ne le regardes pas comme Dieu lui-même Les visites continues des frères, ne les appelons pas des perturbations mais disons plutôt qu'elles viennent en renfort: contre la phalange de l'ennemi, mettons notre confiance dans le choeur [p. 53] qui les réunit. C'est ainsi que, unifiés par la tendresse de la charité, nous pousserons le vice dehors et nous transférerons les travaux manuels dans le trésor de l'hospitalité.

Ne saluons pas nos frères comme si nous leur faisions une grâce, mais offrons-leur l'hospitalité en les en suppliant comme si nous leur étions redevables avec intérêt, à l'exemple de Lot (Gn 19, 2). Certains se parent du titre d'hôte mais de façon étrange et, quand ils in~ritent un hote, ils ne le prient nullement mais ils amplifient même le mot d'invitation avec la fumée de l'orgueil, et ils critiquent celui qui la refuse comme s'il leur faisait offense. C'est pourquoi de là sort un grand souffle qui prend feu. Car les pensées aveuglent l'œil de l'âme en le crevant, afin que nous usions le plus mal possible des plus beaux commandements.

26 PRATIQUE L'HOSPITALITÉ

Lorsqu'une penste t'a empêché de forcer suffisamment ton frère à partager ton repas, alors, à travers lui, elle se moque de toi qui n'as pas su forcer ta langue à la contrainte de la charité. A toi, en effet, peut-être suggère-t-elle que ce frère est un de ceux qui traînent alentour, et « qu'il s'en aille, une fois rassasié de pain ! ». Et à lui, elle inspire l'idée qu'il n'a pas du tout trouvé chez toi l'hospitalité. C'est qu'en ôtant la vue de la transformation pratique, elle inspire dans les cceurs une idée à chacun, afin, chez l'un, de retrancher l'hospitalité, et, chez l'autre, de faile germer l'insulte. Abraham, assis devant sa tente, s'il voyait quelqu'un passer par là, I'accucillait réellemellt: pour des gens vivant dans l'impiété, il déployait sa table; en recevant des Barbares, il n'a pas manqué les anges (Gn 18, 3; cf. He 13, 2). [p.54]

Ils connaissent la douceur de l'hospitalité, tous ceux qui, ayant vécu à l'étranger, ont été reçus en hôte grâce à elle, lorsque, de plus, des paroles réconfortantes assaisonnent la table douce à son cœur. Montrons donc un grand zèle à pra­tiquer avec dévouement l'hospitalité afin de ne pas accueillir seulement des anges, mais aussi Dieu. Car il est écrit: « dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (Mt 25, 40).

26??

L’un de ceux qui s'adonnent à la vertu avec beaucoup de science eut cette réponse: les imaginations que les démons font résonner dans notre cœur, le zèle de l'hospitalité et un service généreux accompli avec empressement les effacent d'habitude complètement, si du moins on s'est délivré cn quelque manière des préoccupations matérielles. Et ces actions, quand elles sont faites dans l'humilité et la contrition du cœur, délivrent d'ordinaire plus vite des imaginations celui qui en souffre.

Car les démons redoutent au plus haut point l'humilité, eux qui savent qu'elle est un commandement du Maître. Un homme d'expérience, parlant de l'humilité, raconta encore ceci: un père, dit-il, de ceux qui sont tout à fait expérimentés, fut frappé à la mâchoire par un possédé du démo n, gravement privé de sa raison; il se retourna aussitôt et présenta l'autre joue toute prête, et le démon, comme frappé en retour par le rayon de l'humilité, se mit à crier et bondit d'un seul coup hors de la créature.

27 L'ARME DE L'HUMILITÉ

Du saint évêque Epiphane 40 , voici encore ce récit: il arriva, dit-il, que le fils d'une fidèle veuve, ayant en lui le [p.55] démon Python, demeurait dans le malheur sans y chercher de remède. Or sa mère, rendue humble par le deuil, refroidit la passion par son action de grâces: ayant attaché son âme à la croix, elle expulsa le démon de son enfant par ses prières. Comme le jeune homme, en effet, errait dans le voisinage tandis que sa mère priait à la maison, le démon, hurlant le nom de cette femme, était poursuivi de tourments. Elle, même en entendant cela, n'accourut pas à la scène, liant le combat de la nature à son humilité; mais, entraînée par d'autres, elle fut conduite dehors contre sa volonté; à la suite de quoi, le démon, rendu fou, cherchait aussi à s'enfuir. Elle donc, debout près de son enfant, I'embrassait en pleurant et brandissait contre le démon son action de grâces et son humi­lité. Après qu'elle eut versédes larmes arnères, supplié le Christ et fait le signe de la croix, le démon déguerpit au plus vite de son enfant avant de recevoir beaucoup de coups de fouet.

Les clémons jalousent ceux qui rayonnent dans la soumission au Père et ils grincent des dents contre eux parce qu'à la soumission ils joignent le renoncement dans l'absence de souci. Inventoriant aussi des prétextes contre eux, ils portent leur exaspération à son comble, et quand arrive la colère, ils gravent en eux le ressentiment, et ensuite ils vont jusqu'à faire bouillir peu à peu la haine contre le Père, comme si vraiment I1 châtiait injustement et ne prêtait attention qu'à l'apparence, afin d'ébranler l'ime de tous côtés et de diverses manières, puis de l'arracher aux bras paternels. Celui donc qui se trouve dans la soumission au Père, qu'il se laisse vaincre par les offenses, qu'il remporte la victoire par l'humilité, qu'il soit tempére par la patience, et enfin qu'il n'admette pas que les pensées murmurent par en dessous contre la sévérité et la hardiesse des frères.

28 MANOEUVRES DES DÉMONS

Les démons prétendent aussi, en priorité, que la liberté [p.56] SVAGRE LE PONTIQUE

est supérieure à la douloureuse servitude 41 , afin de rendre sûr de lui celui qui est soumis (à un père spirituel), et de l'enfoncer aisément dans les biens matériels. Les uns, en effet, ils s'empressent de les séparer de leurs pères spirituels par ces pensées, et les autres, par d'autres encore: a Travaille ! Acquiers ! Reçois des hôtes !, chantent-ils à l'intérieur, de façon à te procurer une belle réputation. » Car c'est à partir de ces prétendus biens qu'ils sèment une à une les graines d'ivraie de la méchanceté.

Au début, ils laissent le fière être amolli par la vaine gloire, le font jeûner d'un jeûne continu, se lever avec ardeur pen­dant les prières et dans les synaxes, pour qu'il calcule ainsi: « Lorsque j'étais soumis, je n'étais pas tel. Car là-bas il y avait offenses, tristesses et troubles, et ici il y a paix, sérénité et joie; là-bas sévérité du père spirituel, crainte et châtiments, et ici ni souci, ni crainte, ni châtiments. » Et ainsi, par de tels arguments, ils dérobent son esprit et s en saisissent à son insu. Surgissant à l'improviste pendant un sommeil excessif, ils aspergent son âme de crainte, ils lui font manquer les synaxes par négligence et acédie, ils gravent dans sa mémoire qu'accucillir des hôtes est une gêne et ils lui infligent tous les sortilèges du vice afin de projeter en lui l'acédie, d'y forger la haine contre la vie même 42 , et ainsiw après l'avoir dépouillé de l'arme des vertus, ils le montrent en exemple aux anges.

Tantôt les démons exaltent les mortifications par les pensées, tantôt ils les déprécient comme si elles n'aboutissaient à rien, afin, d'un côté, d'inspirer de la présomption, et de l'autre, de semer lc désespoir. Chez ceux, en effet, qui ne se laissent pas convaincre de relâcher leur effort, ils exaltent les mortifications pour leur inspirer de la présomption, et chez ceux qui ne se laissent pas persuader d'incliner à la présomption, ils ne f<:nt rien de plus que de leur chanter que leurs mortifications ne mènent à rien, afin de les pousser à se relâcher et de semer en eux le désespoir.[p.57]

29 RÉCIT D'UN COMBAT

Chaque fois donc que les pensées grandissent les mortifications, déprécions notre âme en crachant sur celles-ci; mais chaque fois qu'inversement les pensées minimisent les mortifications comme si elles n'aboutissaient à rien, quant à nous, autant que possible, grandissons les miséricordes du Christ.

Car plus durement tu traites ton corps, plus tu scrutes ta conscience. Apprends à te connaître toi-même 43 , en percevant les ravages que commettent en secret les pensées, de peul qu'emportés sans nous en apercevoir vers leurs brigandages secrets, nous n'ayons l'esprit obscurci au point de croire que nous traiter durement suffit pour vendanger les vertus. C'est ainsi que certains, envahis d'imaginations, eurent la raison.ébranlée, les démons les accablant d'illusions comme des sauterelles, pervertissant leur vue et, parfois, ravageant aussi leur âme pQf la lâcheté.

A un frère 44  resté éveillé pendant la nuit, les démons façonnaient des imaginations effrayantes non seulement pour son œil extérieur mais encore pour son regard intérieur, si bien que son esplit se débattait dans l'appréhension de la nuit suivante et il risquait de perdre complètement la raison. Et nuit après nuit, la guerre se levait dans son âme. Mais lui, qui était en péril, s'efforçait de rester maître de sa raison en suspendant son âme au Donateur de la prière et, en avanc,ant contre lui-même ses actions fautives, il se battait pour les regarder. Ensuite, il effrayait lui-même son âme en attirant son attention sur le brasier ~du jugement afin de pousser la crainte contre la crainte et de repousser la lâcheté. Et c'est donc ce qui se produisit, ainsi que le raconta celui qui subit

58 ÉVAGRE LE PONTIQUE

cette guerre. Car, tandis que les démons effrayaient son âme de multiples manières, lui, qui subissait ces attaques, recherchait Dieu par sa prière; et tandis qu'ils attiraient l'attention de son âme sur leurs imaginations, cet homme, rassemblant la rnasse de ses fautes, les exposait dievant Dieu qui a l'œil sur toute chose. Et comme ils détournaient à nouveau son regard de la prière, lui leur opposa la crainte du jugement et fit disparaître complètement la crainte de ses visions imaginaires. Car l'une des craintes ayant submergé l'autre, elle vint à bout de l'erreur avec l'aide de Dieu. Par le souvenir de ses péchés, en effet, I'ame s'était humilice et, par la crainte du jugement, elle était sortie de son sommeil, et elle exhala du fond d'elle-même les épouvantails des démons. Mais le tout est venu de la grâce d'en haut: avoir chassé les épouvantails des démons comme avoir soutenu l'âme en train de tomber, car « le Seigneur soutient tous ceux qui tombent et relève tous ceux qui se sont écroulés » (Ps 1 44, 1 4).

30 DIFFICULTÉS DE LA PRIÈRE PURE

Parfois nous nous efforçons de rendre pure notre prière et peut-être n'y parvenons-nous pas. Mais il arrive aussi l'inverse: sans que nous fassions d'efforts, notre âme entre dans la prière pure, parce que d'un côté notre faiblesse, de l'autre la grâce d'en haut nous appellent à remonter jusqu'à la pureté de l'âme, et, des deux côtés en même temps, nous enseignent à ne pas nous en remettr: à nous-mêmes pour l'action de prier mais à reconnaître Celui qui nous en fait don. Car ce qui fait que nc!us prierons comme il faut, nous l'ignorons. Chaque fois donc que nous nous efforçons de [p.59] purifier notre prière mais que nous n'en sommes pas capables et qu'au contraire nous sommes dans le noir, alors, les joues trempées de larmes, supplions Dieu de faire cesser la guerre dans la nuit et de faire resplendir la lumière de 1'âme.

Lorsque, pour accomplir son office 45 , le frère qui vivait avec toi est parti, renouvelle son souvenir au cours des prières habituelles, mais ne te l'imagine pas outre mesure de peur que, ayant saisi chez toi un début d'inquiétude, les démons ne la rendent en l'aiguisant, toujours plus pointue, qu'ils ne recouvrent d'ombre en toi ce frère quand tu chantes les psaumes, et qu'ils ne te privent en Dieu ,de l'inquiétude selon Dieu—afin, ayant contré l'inquiétude par l'inquiétude, de nous emmener en captivité loin du Bien et de nous empécher de méditer la phrase: « Rejette sur le Seigneur ton inquiétude ».

Ils savent en effet que trop penser au frère leur sert pour ainsi dire à façonner aussi des tristessesr en troublant un peu notre raison. De plus, ils allument subrepticement des reproches de lenteur comme si le frère s'attardait quelque peu dans son of fice, de sorte que le désir plein d'inquiétude se tourne peut-être même en haine.

Mais dans les inquiétudes qui concernent le voyageur, l'habitude des démons est encore de faire ceci: le jour où ils le savent proche ils montrent en rêve son image afin que, à cause de ce songe qui s'est réalisé, lorsque des frères seront en voyage, nous recourions de nouveau aux interprètes des songes, alors qu'il faut plutôt les écarter et les éviter absolurnent, de peur qu'Lls n'égarent notre âme avec ces rêves vers d'autres erreurs encore 46 .[p.60]

31 L'OR DE L'HUMILITÉ DANS LE CREUSET DE LA COMMUNAUTÉ

Car si les démons ne savent rien à l'avance, les événements qu'ils voient se produire, ils les annoncent et les représentent en imagination. Il est certain que souvent, alors que nous sommes dans le recueillement, comme ils ont aperçu un frère qui allait chez nous, ils prédisent sa venue par les pensées, dont il faut se méfier, même si elles semblent dire vrai. Car, par cette prétendue vérité, ils apportent par surcroît le mensonge afin, par cette vérité partielle, de tendre des pièges sur les routes à l'avenir.

De même que l'or brut, mis à fondre dans un creuset, devient plus pur, de même le moine novice dont les mœurs sont refondues en communauté, redevient brillant par ses qualités d'endurance. Car, sous les ordres de ses frères, il travaille à apprendre l'obéissance, et quand on le réprimande, il dispose sa nature à posséder la patience. Chaque fois donc qu'il accucille les offenses dans la joie et qu'il embrasse l'humilité dans l'indignité, il s'est élevé audessus des passions contraires, à la suite de quoi il poursuit sa lutte pour briller par les vertus, la grâce lui faisant don de toujours plus de force. De même que ceux qui descendent aux tléfonds de la terre en extraient de l'or, de même ceux qui s'abaissent dans l'or de l'humilité en rapportent des vertus.

L'esprit goûte au repos dès lors que, dans le but de retrancher les causes des passions, il est occupé à la contemplation. Mais avant d'abattre ces passions, c'est lui qui ressent abattement et misère, cac c'est dans la faiblesse qu'il va au combat contre les adversaires.[p.61]

32 NE CÈDE PAS AU DÉSESPOIR

Les anciens approuvent fort la venue graduelle à l'anachorèse 47 , à condition que l'on y soit arrivé après avoir, en communauté, mené ses vertus à leur point d'achèvement. Et si l'on peut progressel dans l'anachorèse, qu'on en fasse l'épreuve. Mais si l'on s'en révèle incapable et qu'on reste en-dessous de la vertu, qu'on retourne dans sa communauté de peur, pour ne pas avoir été capable d'affronter les machinations des pensées, de perdre la raison.

De meme qu'une veuve en deuil trouve une consolation dans ses fils, de même l'âme en faute trouve un encouragement dans les mortifications qui arrachent le désespoir des pensces, sèment la confiance du repentir, annoncent les miséricordes du Christ et dénoncent les péchés commis. Nous ne devons donc pas pratiquer les mortifications comme par habitude seulement, mais encore dans la conscience de l'action de grâces, afin que notre âme ne se trouve pas démunie d'une telle sagesse. Car si, à chaque action, nous avons conscience de Celui qui mène les mortifications à leur fin, apposons-lui le sceau d'une action de grâces.

De méme que, tout petit déjà, un chiot guette le pain pour l'attraper, de même, au fond du cœur, une pensée méchante guette l'esprit. Ne passons dcnc pas notre jeunesse à goûter au vice des travaux adverses afin de ne pas leur livrer d'avance notre âme à ravager. De même que la ronde des étoiles porteuses de torches éclaire le ciel, de même la vérité [p.62] des mots porteurs de lumière éclaire l'homme. Ne portons donc la vérité sur la langue que sous une seule forme parce que le Seigneur n'établit dans sa maison que des êtres uniformes. De même que les éclairs lancés avec violence annoncent le tonnerre, de même les paroles émises avec exactitude signalent la foi. Appliquons-nous donc à être fidèles à la vérité afin de progresser aussi vers la charité qui est la métropole des vertus.

Comme le soleil sourit à toute la terre de ses rayons d' Dr brillant, ainsi la charité réjouit toute l'âme de ses actions éclatantes. Or si nous la possédons, nous avcans éteint les passions et resplendi jusqu'aux cieux 48 . Tu te mortifieras en toute chose jusqu'à ce que tu rencontres la sainte charité parce qu'en son absence, les biens présents ne servent à rien. En effet, la colère s'exacerbe, le caractère s'aigrit, les mortifications accomplies avec présomption s'accouplent av-ec la gloire. Par l'humilité de son âme, David a jeûné dans l'affliction, nous aussi, par le jeûne, humilions notre âme.

33 COMMENT LES DÉMONS DÉTOURNENT LES MORTIFICATIONS

Celui qui se soumet à l'ascèse des mortifications corporelles avec beaucoup d'âpreté, qu'il n'y travaille pas pour être loué et qu'il ne se mette pas en valeur pour être glorifié. Car si, dans ces mortifications, les démons rendent l'âme abrupte, ils fcrtifieront et l'âpreté et l'ascèse du corps pour la gloire et ils la pousseront à atteindre de plus grandes mortifications comme pour se mettre encore davantage en valeur.[p.63

Ils discutent, en effet, à l'intérieur, par l'intermédiaire des pensées, en jetant les idées suivantes: « Tout comme Untel qui s'est soumis à une ascèse très dure, et Untel qui a eu droit à des titres grandioses et dont on parle encore alors qu'il est mort, ainsi toi-même, monte jusqu'au plus haut sommet de l'effort ascétique afin de gagner la gloire pour toi-même et que ton nom soit exalté, pour que l'on parle de toi aussi après ta mort avec surabondance. N Assurément, par ces tromperies, non seulement ils font la guerre à tes mortifications corporelles mais davantage encore ils t'appellent à combattre à leur côté parce que, par elles, c'est ton âme qu'ils atteignent clans ses mortifications plus difficiles 49 .

Et, de fait, ils mettent le moine sur un trône, élèvent son discours à un rang magistral afin qu'il soit célébré comme s'il devait à ce discours de détenir la première place parmi les grands ascètes et les gnostiques 50 . Ils l'incitent, d'autre part, à jalouser et envier ceux qui sont célébrés pour leur bonne cDnduite, dont l'action est plus admirable, et par suite la connaissance 51  Parfois ils endorment aussi le feu de sa chair, en éloignant de ses propres pensées par ruse les pensées impures, comme p<~ur qu'il pense que l'esprit de la fornication a été vaincu par son établissement dans le désert 52 , que son cœur a été lavé selon la splendeur des saints et qu'il est parvenu à monter jusqu'au faîte de la sainteté.

Mais au sujet de ces mortifications, des nourritures dont il s'est abstenu et de ses jeûnes successifs, ils lui font déclarer [p.64] les durées pour lesquelles il doit se vanter comme s'il était le meilleur et se révolter contre la fraternité comme si elle ne valait rien.

Et ainsi, ils lui font raconter en détail ses combats comme s'ils les avait menés à bien par sa seule force, lui faisant dire: « J'ai fait ceci, j'ai accompli eclle ascèse, je me suis maltraité », tout en lui fermant la bouche pour l'empêcher d'ajouter: « Mais ce n'est pas moi, c'est le secours qui est en moi ». Car, que Dieu le secourt pour les mortifications dont ils le font se grandir, ils ne lui permettent pas de le reconnaître afin que, comme s'il ne devait vraiment qu'à sa propre force d'être venu à bout de la totalité des combats, il réclame de recevoir intégralement les éloges dus à ses luttes; si bien qu'il se trouve plongé au fin fond du blasphème en se faisant voir à son insu comme étant à lui-même son propre secours.

34 LA DÉMENCE, ULTIME RUSE DE SATAN

Voici donc pourquoi, quand son cœur résonne de la gloire des pensées sans opposer dc résistance, le moine ne sera pas épargné par la démence dans le secret de ses esprits, sa raison courant le risque d'être ébranlée soit par des rêves auxquels il accorde foi, soit par des illusions pendant ses veilles, soit par des visions transfigurées de lumière 53 . C'est Satan en personne, en effet, qui se transforme en ange de lumière pour nous abuser. Peut-être montre-t-il qu'il t'accordera ses faveurs, pour que, tombé a ses pieds, tu l'adores (cf. Mt 4, 9), ou bien t'annonce-t-il la bonne nouvelle qu'il te prend pour un autre Elie, ou bien promet-il de sanctifier ceux qui, [p.65] après avoir reçu la foi, se sont écartés de la vérité et sont devenus fous.

Quant à toi, donc, suppliant de la Sainte Trinitéfi puisque tu connais ces épreuves dans lesquelles tu mets tous tes efforts, conserve ton cœur sous bonne garde de tous côtés, de peur qu'en ne faisant attention qu'aux épreuves venues du dehors, tu ne sois pris au piège, par ruse, de celles du dedans.

Mes discours, ô mon enfant 54 , te sont donc destinés; que ton cœur conserve mes paroles. Souviens-toi que le Christ est ton gardien, et n'oublie pas la Trinité adorable et consubstantielle, à qui est la gloire pour les siècles. Amen.

ENGLISH TRANSLATION EFFORTS:


 

24  Il s agit du thumos partie irascible de l'âme, source de la colère mais aussi de 1s combativité.

25  L'ascese est un moven de discernement lorsqu'une pensce est difFlcile à classer parnli les bonnes ou parmi les rnauvaises: ces dernières ne supportent pas l'<rdPlir riPe mrirtifiéetione

26  Le COfpS et l'âme. Ev-agre abandonne ici sa tripartition de l'homme pour adopter la dichotomie rrecclue traditionnelle.

27 C'est-i-dire celui qui a désarmé à l'avance la vaine gloire en tenant cachées ses mortifications.

28 Le tropospraktikos: la premiere etape de la vie de pri2re, qui conccrne les pratiques ascétiques et la lutte contre les passiorls.

29  Nous avons ici les deux étapes de la praktiZè (I atte contre les passions) et de la gnostikè (contemplation).

30 Fais attention à toi-même »: ce s;ont les premiels mots d'une homélie célèbre de l~asile de Césarée (qui leur a emprunté son titre, en latin Attende tibi ipsi, PG 31, 197-217; une édition critique a été pub]iée en 1962 à Stockholm par S.-Y. Rudberg). Le disciple des Cappadociens qu'était Evagre ne zouvait ignorer ce te Kte très célèbre, même s'il dorne ici une interprétation purement spirituelle, alor que l'homélie de Basile est surtout théologique (sur la dignité de l'homme).

31  Selon les généalogies des passions du Traité Prstiqae, la fornication est fille de la gloutonnerie

32  S'agit-il d'une expérience personnelle, présentée anonymement selon la coutume des spirituels, ou d'un récit recueilli de façon directe ou livresque, voi re de bouche i oreille, par Evagre ? Toujours est-il que ce genre d'anecdotes brèves est classique dans la littérature spirituelle et ascétique.

33  Ici, nous avons très probablement affaire au témoignage personnel d'Evagre, qu~ fait part au moine Euloge, et aux moines X qui il s'adresse à travers lai, d'un entretien avec un ancien, peut-être son propre pére spirituel. Comme c'est souvent le cas, cet enseignement se présente sous une forme énigmatique, ce qui pousse le disciple à derrander des explications supptémentaires.

34 Voici encore un détail concret, évaquant la vigile (dans la nuit du samedi au dimanche) et ses longues lectures bibliques.

35  Pourquoi la langue est-elle qualifiée de . cananéenne . ? Peut-être ce terme est-il simplement synonyme de . p:uenne .. Le dictionnaire patristique de lempe cite ce texte sans explication sapplémentaire Is.v. • cananéen •).

36 Comrne la plupart des maitres de ;a littérature ascétique, Evagte fait preuve ici d'une grande penétration psychologique. Ltaccoutumancc aux plaisirs entraine une dépendance qui a pœ à envier à celle des drogues modernes.

37  L'impassibilité (apathéia), aboutissement de l'ascèse et porte de la contemplation, est un manre-mot de la spiritualité évagrienne. Notons son liien constitutif avec la charité.

38 L'émigration pratique (praktik,ès ekAèmias) désigne l'exil volontaire, le retranchement du molide en vue de I 'ascèse. L'immisradon gnosdque (gndstik,ès endénrias) désigne plutôt la demeurance dans la contemplation du moine avance. Tandis que la pratique est le Iku des pensées passionnces, la gnostique est celui des pensces simples. Le combat n'en esl pas pour autant superflu.

39  Jéthro conseilla à Meise de déléguer les contentieux à des juges. De même le gnosdque ne doit pas se battre sur tOUS les fronts, de peur de s'enenorgueillir.

40 Avant de devenir évêque de Salamine en Chypre, Epiphane fut un moine fondateur d'un nzonastère, et favorisa le monachisme.

41 Evragre nous donne ici la description de deux états monastiques: celui du moine soumis à un pere spirituel et accomplissant sa vocation dans l'obéissance, et ce lui du moine indépendant, qu i règle lui-mêrn e son mode de vie. L'obéissance esT le meilleur rennpart contre 1s présomption et la vaine gloire: ce thème sera repris tout au long de la tradition monastique: cf. Jean Climaque au Vlle siècle.

42 Ce qui est l'aboutissement de L'acédie, qui est dégoût de la vie spirituelle et finalement de soi-même.

43 Thèrne passé de la philosophie grecque 3 la littérature chrétienne. cf. P. Courcelle, « Connais-toi toi-meme de Socrate à saint Bernard ., Etudes Auv2sstiniennes 1974 et 1975.

44 Evagre lui-même i

45 L'office, ou diaconie, du moine est sa tâche particulière dans la vie de la communauté: il peut ainsi être potier, vigneron, copiste, etc

46 La mefiance à l'égard des songes «st une constante de la littérature ascétique et spirituelle: cf. Diadoque de Photicé, La perrection spirituelie en cent chapitres, c. 36-40 (« Les Pères dans la foi ., n° 41, pp. 31-34

47 Nous distinguons ici encore les diflérentes formes de vie monastique. La vie en communauté est indispensable pour les débutants: dans le désert égyptien, elle se déroule à Nitrie au sud-oues~ du delta du Ni. Puis le moine déjà avancé va vivle une vie semi-érémitique aux Kellia, plus au sud: ermite en semaine, il retrouve ses fréres à la synaxe hebdomadaire. EnEtn, la grande anacborèse, dans la solitude, est Le lot des moines accomplis q ai vivent, plus au sud, dans le désert de Scété. Cette anachorèse (ou montÉe vers le grand désert) ne convient qu'à des moines trés expérimentés car les démons y sont plus redoutables.

48 La charité est assimilée à l'impassibilité. C'est pourquoi elle est l'aboutissement de la pratique a la porte de la contemplation.

49 A côté des mortifications (ponous` du corps (jeane, privation de sommeil, cilice.. ), qui sont le lot des débutants, se trouvent les mortifications des pensces (lutte contre la vaine gloire, contre la rancune, contre l'acédie), plus subtiles mais aussi plus rudes: elles sont le fait de moines plus avancés.

50 Au sens évagrien, les gnostiques sont les contemplatifs qui, ayant dépassé le stade de la lutte contre les passions (pratique), sont entrés par l'impassibilité dans b contemplation (gnostique).

51 L'action (praxis), c'es t l'ascése. La connaissance (gnisis), c'est la cuntemplation.

52 Nous t raduisons ainsi par une approximation, et en l'absence d'édition critique, un ter ne douteux. Klèrouchia sign fie en effet un lot de terrain attribué à des étrang_rs ou à des soldats en terre étrangère, ou lm héritage (cf. dictionnaire grec-anglais Liddel-Scott, s.v.). Aueun de ces sens n'est satisfa.sant dans le contexte.

53 Cf. note 46.

54 . Evagre s'adresse à Eulage comme à son disciple. Cette simple expression permet donc de préciser les rspports entre les deux hommes et le genre littéraire du texte: cf. note 3.