DE RANCÉ,

selected Letters
 

 RanceRigot


selected by Anna Maria Caneva, OCSO, transl. by  Dom Bernard Bonowitz
“Communion with God and the Brothers: Reading Rancé” Cistercian Studies
Vol 8.1 (1973) 53-62


The Letters Of Armand Jean de Rancé, Abbot and Reformer of la Trappe, tr. & ed. A.J. Krailsheimer, vol 1., 1641-1682, Cist. Stud. 80 vol 2., 1683-1700, Cist. Stud. 81 (Cistercian ,Kalamazoo, 1984).

Abbé de Rance Correspondance Édition originale par Alban John Krailsheimer, Tome I 1642-1675; Tome 3 1683-1689; Tome 4 (1690-1700) (Les Éditions du Cerf, Citeaux, Commentarii Cistercienses 1993)

[1] His Conversion; “Penitence in the Habit”

 

*630430. [M 1214,54]. This letter has also, more plausibly, been assigned to Mme Bouthillier and the date 12 May 1663 proposed.

630430 a. 30 avril 166. [Kr. pp. 207-208]

TO a Superior [RM Louise Rogier]. 30 April 1663

A Une Supérieure [Mère Louise Rogieri

I AM quite sure that you will be surprised to learn of my decision to give the rest of my life up to penitence in the habit and the reform of St Bernard. God led me by ways quite unknown to me for several years, but finally for some eight or ten months, since his mercy inspired in me the sentiments I now have, I have begun to see things more clearly than I did, and I am convinced at present that the state in which he wishes me to engage is that of the regular life. That will seem strange to those who measure everything by the customs and usual behaviour of men, and who think that what is established by the majority is what should be practised by all.

Je suis très persuadé que vous serez surprise quand vous saurez la résolution que j’ai formée de donner le reste de ma vie à la pénitence sous l’habit et dans la réforme de saint Bernard ; Dieu m’a conduit par des voies qui m’étaient fort inconnues pendant plusieurs années, mais enfin depuis huit ou dix mois que sa miséricorde m’a inspiré le sentiment dans lequel je suis, j’ai commencé à voir plus clair que je n’avais pas fait, et je suis présentement convaincu que l’état dans lequel il veut que je m’engage est celui de la vie régulière; cela paraîtra étrange à ceux qui mesurent toutes choses par les coutumes et les manières ordinaires d’agir des hommes, et qui croient que ce qui est établi par la plus grande partie du monde est ce qui doit être pratiqué de tous,

In truth, if one thinks seriously and objectively of the necessity for all Christians to live in penitence, and of the obligations of those who have been involved in the world, there is much more reason to be amazed at the fact that there are those who imagine that they are giving themselves to God with qualifications and reservations which offend his justice, do not pacify his anger, and in no way accord with the state of a sinner who should return to God by way of a sincere conversion and genuine and total renunciation.

mais en vérité si on pense sérieusement et sans prévention à la nécessité dans laquelle sont tous les chrétiens de vivre dans la pénitence et aux obligations de ceux qui ont été dans le commerce du monde, on aura bien plus de sujet de s’étonner qu’il y en ait qui s’imaginent se donner à Dieu avec des ménagements et des réserves qui offensent sa justice, qui n’apaisent point sa colère et qui ne conviennent nullement à l’état d’un pécheur qui doit revenir à Dieu par la voie d’une conversion sincère et d’un véritable renoncement à toutes choses.

    May God be content with the little I do and my desire to do more were I not held back by the weight of my sins. I know that many centuries of the life I intend to embrace cannot for a moment make satisfaction for the life I led in the world, and if I did not find in the ample mercies of God what I cannot find in my actions, however much my person might change, I should live comfortless on earth; but I confess that as the confidence I have in his goodness keeps me from falling into that temptation, it also impels me to abandon myself completely to his providence, so that I submit to his guidance in all things and leave it to him for ever to dispose of my person and all I am.

  Dieu veuille se contenter du peu que je fais et du désir que j’ai d’en faire davantage si je n’étais retenu par le poids de mes péchés, je sais que plusieurs siècles de la vie que je veux embrasser ne peuvent pas satisfaire pour un moment de celle que j’ai passée dans le monde, et si je ne trouvais dans l’excès des miséricordes de Dieu ce que je ne puis trouver dans mes actions quelque changement qui arrive dans ma personne, je vivrais sans consolation sur la terre, mais je vous avoue que comme la confiance que j’ai en ses bontés m’empêche de tomber dans cette tentation, elle m’engage aussi dans un abandon à sa Providence, de sorte que je me remets de tout à sa conduite et je lui laisse pour jamais la disposition de ma personne et de tout ce que je suis ;

From this you will easily judge how much I need the support and prayers of my friends to obtain a faithful response to the grace God shows me. The world is full of people who have intended, but not executed, things. It is even very rare for those who begin to persevere, yet perseverance alone will be reckoned at God’s judgement, and intentions which remain unfulfilled, however holy they may be, will produce nothing but confusion for those who have not completed them. Pray Our Lord therefore, I beseech you, to strengthen my vocation, and give me the spirit of those holy solitaries whose actions, as you know, once delighted me, since I am consecrating myself to retreat and solitude for the rest of my days.

vous jugerez bien par là du besoin que j’ai de l’assistance et des prières de mes amis pour obtenir une fidèle corespondance aux grâces que Dieu me fait; le monde est plein de gens qui ont voulu et qui n’ont point exécuté, il est même très rare que ceux qui ont commencé persévèrent, cependant la persévérance sera seule comptée au jugement de Dieu, et les desseins qui demeureront imparfaits, quels que saints qu’ils aient été, ne produiront que de la confusion pour ceux qui ne les auront pas finis. Priez donc, je vous conjure, Notre Seigneur qu’il fortifie ma vocation, et qu’il me donne l’esprit de ces saints solitaires dont vous savez que les actions me ravissaient autrefois, puisque je me consacre à la retraite et à la solitude pour le reste de mes jours.

   
   

[2] Lifelong penitence to save from hell

 

*640630

M 1214,60; A 2106 [Rancé had made profession at Perseigne. 26 June 1664.]

640630    30 juin 1664 [Kr. v1 pp. 224-226]

TO a Superior [RM Louise Rogier]. 30 June 1664

A UNE SUPÉRIEURE [MÈRE LOUISE. ROGIER]

THIS note is to confirm your presentiment of my profession. It took place three days ago, when I dedicated myself to God for the rest of my days in a state which seemed to me very lowly and contemptible and thus very well suited to doing penance for my sins. You ask me what feelings were in my heart at that moment, and in reply I will tell you in a word that I saw myself as a man condemned to hell by the number and gravity of his sins, and believed at the same time that the only way to appease God’s wrath was to engage myself in penitence which would finish only with my death, and that the calling I embrace was entirely suitable for someone full of such feelings.

  Je vous confirme par ce billet le pressentiment que vous avez de ma profession ; il y a trois jours que je l’ai faite et que je me suis consacré à Dieu pour le reste de mes jours dans une condition qui m’a paru très vile et très méprisable et par conséquent très propre pour faire pénitence de mes péchés. Vous me demandez quels ont été les sentiments de mon coeur dans ce moment, et pour vous répondre je vous dirai en un mot oui ne suis vu comme un homme condamne à l’enfer par le nombre et la grandeur de ses péchés, et j’ai cru en même temps que l’ unique moyen pour apaiser la colère de Dieu était cela, m’engager dans une pénitence qui ne finisse qu’avec ma vit; e, que la profession que j’embrassais convenait tout à fait à u personne pénétrée de ces sentiments.

Although I saw it as the only way remaining open to me, I did not on that account think that it made my salvation sure, because God often finds our sacrifices unacceptable because we personally are unacceptable, and it happens only too often that his judgements are opposed to those that men have concerning our conduct and our life.

Quoique je l’aie regardée comme la voie seule qui me restait, je n’ai pas pensé pour cela qu’elle m’assurait de mon salut parce que Dieu souvent n’a pas nos sacrifices agréables à cause du désagrément de nos personnes, et il n’arrive que trop ordinairement que ses jugements sont contraires aux opinions des hommes sur nos conduites et sur nos vies;

I do not know whether mine will be pleasing to him, or whether the public satisfaction I wish to make will find grace in his eyes, but I do know that I have knocked at the only door open to me, and that there was no other way of entering into the peace of Jesus Christ. I still see all the reasons I had for doubting that God’s mercy would extend to miseries and aberrations as great as mine, but with all that I am full of hope, and the confidence that God gives me is such that I surrender myself blindly. I leave to him the decision about my eternity; I will try to keep with constant fidelity what my heart promised him countless times before my mouth professed it outwardly. My peace of mind comes from serving a Master who never abandons those who persevere in his service.

je ne sais pas si la mienne lui plaira et si la satisfaction publique que je veux lui faire trouvera grâce auprès de lui, mais je sais bien que j’ai frappé à la seule porte qui m’était ouverte et que je ne pouvais rentrer que par là clans la paix de Jésus-Christ. Je vois encore toutes les raisons que j’avais de douter que la miséricorde de Dieu s’étende sur des misères et des égarements aussi grands que les miens ; mais parmi tout cela je suis plein d’espérance et la confiance que Dieu me donne est telle que je m’abandonne à l’aveugle; je lui laisse la décision de mon éternité; j’essaierai de lui garder avec une fidélité constante ce que mon coeur lui a promis mille fois avant que ma bouche lui en rende des protestations extérieures. Et mon repos est que je sers un Maitre qui n’abandonne jamais ceux qui sont demeurés avec persévérance à son service.

Finally, he will do as he pleases, he is the lord, and no one has a right to complain, but I will do my duty until I die, at least I will not cease to ask him for grace to do so. That, in a few words, is my present disposition, entire resignation before God’s providence and entire surrender to his eternal designs. I remember having read in St John Climacus that a creature who has been unfortunate enough to lose the good graces of his God must not stop the flow of his tears until God tells him, by himself or one of his angels, that his sins are forgiven.’ [The Ladder of Divine Ascent, First Degree, art. 71.]

Enfin il fera ce qu’il lui plaira, il est le Seigneur, et personne ne doit se plaindre, mais je ferai mon devoir jusqu’à ma mort, au moins, je ne cesserai pas de lui en demander la grâce. Voilà en peu de mots ma disposition présente qui est une entière résignation à la Providence de Dieu et un abandon entier à ses desseins éternels. Je me souviens d’avoir lu dans s[ain]t Jean Climaque:  «qu’une créature qui a été assez malheureuse pour perdre les bonnes grâces de son Dieu ne doit point arrêter le cours de ses larmes jusqu’à ce que Dieu lui dise, par lui-même ou par quelqu’un de ses anges. que ses péchés lui sont pardonnés.»

[3] Penitence; fasting; slow death

 

* 710705     1/54,

710705    5 juillet 1671

TO Monsieur N.   5 July, 1671

A MONSIEUR N. 1664 [Kr. v1 pp.361-373]

    ‘Monsieur, I am duly grateful for the marks you give me of your esteem and friendship, and I should count myself fortunate if you had observed anything in me or in the discipline practised in this house which might oblige you to remember us and sometimes think of us before Our Lord. As regards your plan, Monsieur, I will say that however much I might like you to come and join us to serve Christ in penitence, I should not for anything in the world want to advise you to take the least step towards executing so holy a resolve, unless there are manifest signs of a true vocation, nor induce you to do anything either of us might regret. There must be no disguising the fact that the life we lead here is arduous and laborious, both in external austerity and in spiritual subjection, and what you have learned of it from ten days’ experience is very little compared to what you would find in continuing it. The vigils, fasts, manual labour and the heat of the sun are arduous exercises, but the winter cold is much more so, and indeed it is only one’s zeal for penitence which makes them tolerable, since the relief that can be granted to weaker brethren is very limited by the prescription of the Rule. What the prior told you about the ancient fasts is not without foundation, and I do not see how I can help allowing our brothers what they persist in asking on this point, since it is in conformity with the Rule and the examples of our first fathers, which we try to follow as closely as possible.

Monsieur,  J’ai toute la reconnaissance que je dois des témoignages que vous me donnez de votre estime et de votre amitié, et je me tiendrais heureux si vous aviez remarqué quelque chose dans ma personne ou dans la discipline qui s’observe en cette maison qui vous pût obliger d’en conserver la mémoire et de penser quelquefois à nous devant Notre-Seigneur. Pour ce qui regarde votre dessein, Monsieur, je vous dirai que quelque inclination j’aie que vous veniez vous joindre à nous pour servir Jésus-Christ dans la pénitence, je ne voudrais pour rien du monde vous conseiller de faire le moindre pas pour l’exécution d’une résolution si sainte à moins qu’il ne paraisse des marques évidentes d’une véritable vocation, ni vous induire à rien dont vous et moi puissions nous repentir. II ne faut point vous dissimuler, la vie que l’on mène ici est pénible et laborieuse, soit pour l’austérité extérieure, soit pour l’assujettissement de l’esprit, et ce que l’expérience de dix jours en fait connaître est peu de chose auprès de ce que l’on trouve dans la continuation. Les veilles, les jeûnes, le travail des mains et l’ardeur du soleil sont des exercices très pénibles, mais les froids de l’hiver le sont bien davantage, et dans la vérité il n’y a que le zèle que l’on a pour la pénitence qui les rende supportables, les adoucissements que l’on peut accorder aux plus faibles étant très bornés par la disposition de la Règle. Ce que dom prieur vous a dit des jeûnes anciens a quelque fondement, et je ne vois pas comment je pourrai m’empêcher de permettre en cela à nos frères ce qu’ils me demandent avec persévérance, puisque c’est conforme à la Règle et aux exemples de nos premiers pères que nous essayons de suivre de plus près que nous pouvons.

    ‘As regards going bareheaded, it will be no more than you saw. I speak of these things, Monsieur, quite simply and I do not want to make them easier for you than they actually are, nor do I want to commit you in the hope of finding a facility which you would not subsequently encounter as it had been described to you. The life we lead here is ordinary, but still I do not consider that anyone should undertake it who is not firmly resolved to abandon his person and his health to all the hardships liable to be found in a life of penitence. That is certainly the first step that must be taken; the life of solitaries and monks must be considered as a martyrdom. They are men united together by God in holy conspiracy to deprive themselves slowly and imperceptibly, of a life which they are not allowed to destroy at a blow. You will reflect as necessary on your plan, Monsieur, you will examine it before God in all the detail it deserves, while on our side we shall pray him to give you light and make known to you what he asks of you. Whatever his divine providence ordains, I hope that your kindness towards me will be no less, and that you will not lose all memory of the friendship with which you promised to honour me. For me, Monsieur, I beg you to believe that I shall always have the same feelings for you, the same esteem and the same desire to show you that I am in Our Lord Jesus Christ’ etc.

Pour la nudité de la tête elle ne sera point plus grande que vous l’avez vue. Je vous parle des choses, Monsieur, avec simplicité et je n’ai garde de vous les rendre plus aisées qu’elles ne sont en effet, ni de vouloir vous engager sous l’espérance d’une facilité que vous ne rencontreriez pas dans la suite telle que l’on vous l’aurait dit. La vie que nous menons est commune, mais cependant je n’estime pas qu’on doive l’entreprendre si l’on ne se sent dans la détermination forte d’abandonner sa personne et sa santé à tous les inconvénients que peut avoir une vie pénitente. C’est assurément ce premier pas qu’il faut faire; la vie des solitaires et des moines doit être considérée comme un martyre. Ce sont des gens que Dieu unit ensemble pour se priver par une sainte conspiration et d’une manière lente et imperceptible, d’une vie qu’il ne leur est pas permis de détruire tout d’un coup. Vous ferez, Monsieur, toutes les réflexions nécessaires sur votre dessein, vous l’examinerez devant Dieu avec toute l’explication qu’il mérite, pendant que nous le prierons de notre côté de vous donner lumière et de vous faire connaître ce qu’il demande de vous. Quoi que sa divine providence en ordonne, j’espère que vous n’en aurez pas moins de bonté pour moi, et que vous ne perdrez point le souvenir de l’amitié dont vous m’avez promis de m’honorer, et moi, Monsieur, je vous conjure de croire que j’aurai toujours le même coeur pour vous, la même estime et le même désir de vous témoigner que je suis en Notre-Seigneur Jésus-Christ...

    This is a particularly good example of R’s extreme frankness in dealing with aspiring recruits, especially those attracted after a brief stay. There is no hint as to the addressee’s identity.

 

DOM ROBERT COUTURIER SS

A Dom Robin Couturier

* 71 1212 aut.        12 December 1671

711212    12 décembre 1():’ 1664 [Kr. v1 pp.415-418]

    ‘I should have to see things, Reverend Father, more closely than I do, and be more specially informed about what goes on in your monastery and of your own feelings than I think I can be by letter to be able to speak to you as positively as you wish, and it seems to me that one can only say generalities about the things you write about. One must judge, Reverend Father, from your state in the post which you occupy whether it is necessary for you to change your residence and occupations. You know that if it is causing you considerable disturbance and putting obstacles in the way of your sanctification through the dissipations and enfeeblement which sometimes follow such exercises, you would be justified in wanting to give it up; but if it only causes you those difficulties which are almost inseparable from external occupations, and from which human wretchedness can never be exempt, the charity and obedience which you apply to it will make up in God’s eyes for the losses of which you complain, and will replace the advantages which you might find in a less involved life and one more cut off from contacts with men. You must examine this before God with much care and attention, since there is nothing more dangerous than to change without legitimate cause, and move about when God’s order fixes and halts us, especially for a person who wished, as his main impulse, to look at God throughout his life as would a victim and a sacrifice. Such a person is even more obliged than others to watch all his inclinations and motives, so as to do nothing which does not wholly depend on him.

  Il faudrait, mon Révérend Père, que je visse les choses de plus près que je ne fais pas, et que je fusse plus particulièrement informé de ce qui se passe dans votre monastère et de vos dispositions que je ne le pense pas être par la voie et par l’entremise des lettres pour pouvoir vous parler aussi positivement que vous le désirez, et il me semble que l’on ne saurait vous dire que des choses générales sur ce que vous écrivez: c’est, mon Révérend Père, à juger de l’état où vous [vous] trouvez dans l’emploi que vous exercez, s’il est nécessaire que vous changiez de demeure et d’occupations; vous savez que s’il vous cause des indispositions considérables et qu’il met des obstacles à votre sanctification par des dissipations et des affaiblissements qui suivent quelquefois ces sortes d’exercices, vous auriez un juste fondement pour désirer de le quitter, mais que si vous n’y trouvez que de ces difficultés qui sont comme inséparables des occupations extérieures, et dont la misère humaine ne saurait être exempte, la charité et l’obéissance que vous appliquerez répareront auprès de Dieu les pertes dont vous vous plaignez, et vous tiendront lieu des avantages que vous pourriez trouver dans une vie plus dégagée et plus séparée du commerce des hommes. Vous devez examiner cela devant Dieu avec beaucoup de soin et d’application, n’y ayant rien de plus dangereux que de changer sans des causes légitimes, et de se remuer lorsque l’ordre de Dieu nous fixe et nous arrête, et particulièrement pour une personne qui aurait voulu pendant sa vie par un attrait principal regarder Dieu comme une victime et en qualité d’hostie; [il] a encore plus d’obligation que les autres d’en observer toutes les inclinations et les mouvements, afin de ne rien faire qui ne soit totalement dans sa dépendance.

     Finally, when you have weighed up all these things, Reverend Father, if it seems to you that God wants you in a less divided life, and in greater calm than that of which you wrote and which you believe our house could afford you, we will receive you, as I have already told you, with joy and consolation. The way to do that is to ask permission; it will not be granted perhaps the first time, but I reply that it will not be refused if you persist in asking.

Enfin lorsque vous aurez pesé toutes choses, mon Révérend Père, s’il vous parait que Dieu vous veuille dans une vie moins partagée et dans un plus grand repos que n’est pas celui dont vous écrivites et que vous estimez que notre maison pût vous le faire trouver, nous vous recevrons comme je vous l’ai déjà mande avec joie et consolation. La voie qu’il faudra prendre pour cela est celle d’en demander permission ; on ne vous l’accordera peut-être pas la première fois mais je répondrai que l’on ne la refusera pas à votre persévérance à la demander.

     You tell me, Reverend Father, that you have been content to retain a seat of honour; allow me to point out in that connexion that you are saying something contrary to the ancient statutes of the Order, which forbade an abbot who had resigned to take any other rank save that of his profession; a General Chapter made a contrary ruling, which has been followed to the prejudice of the first, but there is no reason to suppose that one should prefer what human cupidity introduced into our Order in the corruption of the times to what was so holily established by our Fathers, who were saints and had the spirit of God; and then it seems to me that God asks something more of you than of those to whom he did not give the same inclination for this life of destruction and annihilation for which you sigh; I should not speak to you like that unless you had given me the cue yourself.

 Vous me dites, mon Révérend Père, que vous vous êtes contenté de vous retenir une séance honoraire; permettez-moi de vous faire remarquer sur cela que vous avez désiré une chose contraire aux anciens statuts de l’ordre, qui ont défendu qu’un abbé qui se serait démis eût d’autre rang que celui de sa profession ; dans l’an 12 [..?] un chapitre général fit une constitution contraire qui a été suivie au préjudice des premières, mais il n’y a nulle apparence que l’on doive préférer ce que la cupidité des hommes a introduite dans notre ordre dans la corruption des temps à ce qui fut si saintement établi par nos Pères qui étaient des saints, et qui avaient l’Esprit de Dieu, et puis il me semble que Dieu demande de vous quelque chose de plus qu’il ne fait pas de ceux auxquels il n’a pas donné la même inclination, ni le même [amour pour cette vie détruite et anéantie après laquelle vous soupirez; je ne vous parlerais ainsi si vous ne m’en donniez vous-même l’ouverture.

    Concerning the distribution of your time, it is impossible to say anything in particular about it, but you know very well that any time remaining after you have discharged your duties should be employed in prayer, sacred reading and presence in choir, and I do not see why you dispense yourself entirely from that. St Thomas read Cassian’s Conferences to cure any aridity that the study of theology might cause him. The Lives of the Desert Fathers, St Bernard, St John Climacus, Cassian, St Ephrem never fail to be of use to those who read them with the intention of sustaining the monastic spirit in themselves; it is so easily lost and the least external occupations are so liable to dissipate it that one can never, it seems to me, take too much care in preserving so rare and precious a treasure at this time, when people are contented with the surface of things and with being monks by their habits and a few similar observances.

 Pour ce qui est de la distribution de votre temps, il n’est possible de vous en rien dire de particulier, mais vous savez bien que ce qui vous reste après vous être acquitté de l’ocupation que vous avez, doit être employé à la prière, à la lecture des choses saintes et à l’assistance du choeur, de laquelle je ne vois pas pourquoi vous vous dispensez entièrement. S[ain]t. Thomas lisait les conférences de Cassien pour remédier au dessèchement que lui pourrait causser l’étude de la théologie. Les vies des Pères du Désert. S[ain]t. Bernard, S[ain]t. Jean Climaque, Cassien, S[ain]t. Ephrem ne seront jamais inutiles à ceux qui les liront avec dessein de se maintenir dans l’esprit monastique, il se perd si aisément et les moindres occupations extérieures sont si capables de le dissiper, que l’on ne saurait, ce me semble, avoir trop de soin de conserver un trésor si précieux et si rare dans ce temps, où l’on se contente d’avoir la superficie des choses, et d’être moine par l’habit et par quelques observances semblables.

    I will say nothing to you of those so called Constitutions of la Trappe. We do not see that sort of thing in our monastery. From what I hear about these they seem to be some small regulations for the inside of the house to which someone has been pleased to give the name of constitutions, which they do not deserve. There may be something in them which is not in the Usages because they did not provide for everything, but I do not think there is anything hostile to their spirit. The main practices of our monastery are not expounded there. We took everything we could from the Usages, but we may easily have been mistaken, and so we are obliged to give opinions about it, and will receive any with joy. I have nothing, Reverend Father, to add to this note, except that everything passes away, our lives like everything else, and it often happens that God’s moment finds us full of plans and projects; Man finds nothing more natural than to imagine and think, but it is quite rare to realise these plans and stay stable and constant, so that one has nothing to do but await God’s eternity. I pray him to give you from this moment all the thoughts and feelings that you would wish to have at that time. Ask the same thing of him for me, dear Father. One grows older and does not think as one should of eternity, and we are always surprised to see that moment arrive. I am with all possible sincerity yours etc.

Je ne vous dirai rien de l’histoire de ces prétendues Constitutions de la Trappe. Nous ne voyons point ces sortes de chose dans notre monastère. De la manière dont on me parle des dernières il parait que ce sont quelques petits règlements pour le dedans de la maison auxquels on a voulu donner le nom de constitutions, dont ils ne sont pas dignes. Il peut y avoir quelque chose qui ne se trouve pas dans les us parce qu’ils n’ont pas pourvu à tout, mais je ne pense pas qu’il y ait rien qui en combat l’esprit. Les pratiques principales de notre monastère n’y sont point exprimées. Nous avons pris des us tout ce que nous avons pu, cependant comme il est aisé que nous nous soyons mécomptés, on nous oblige de donner sur cela des avis, et nous les recevrons avec joie. Je n’ai rien, mon Révérend Père, à ajouter à ce billet, sinon que tout passe, et nos vies comme le reste des choses, et qu’il arrive souvent que le moment de Dieu nous trouve dans nos projets et dans nos desseins, il n’y a rien de plus naturel à l’homme que d’imaginer et de penser, mais il est tout à fait rare de s’exécuter et de se tenir dans une assiette ferme et constante, en sorte que l’on n’ait rien à faire qu’à attendre l’éternité de Dieu. Je le prie de vous donner dès à présent toutes les pensées et les dispositions que vous voudriez avoir dans ce temps-là. Demandez-lui pour moi la même chose, mon cher Père; on vieillit et on ne pense point à l’éternité comme l’on doit, et nous n’en voyons jamais arriver ce [moment] terrible que nous n’en soyons surpris. Je suis avec toute la sincérité possible votre très humble et très obéissant serviteur.

PS If I were in your place I should say nothing of what is happening at Bonnaigue, but would inform one of my friends so that he might give an account of it in case it should be discussed at the General Chapter.’

  — Si j’étais en votre place je ne dirais rien de ce qui se passe à Bonnaigues, mais j’en informerais quelqu’un de mes amis [...] qui pourrait en rendre compte au cas que l’on en parlât au chapitre général.

 [ Dom Robert bas been appointed prior of Preuilly by the Chapter of 1664, but from the context of this letter be seems to have gone back to his own house of Barbeaux by 1671, probably as cellarer, to judge from the description of his duties. ‘The seat of honour’ would be the precedence accorded to the former head of a monastery in command. The unauthorised publication of the Constitutions caused R. great annoyance; as usual be appeals to the original Cistercian regulations, Usages, to justify his own practice. Bonnaigue was a dilapidated abbey in the diocese of Limoges, being reformed with help from Septfons. The Chapter met in May 1672.]

 

[On Humiliations]

 

G. LE ROY, HAUTEFONTAINE 

G. LE ROY, HAUTEFONTAINE

720706    6 July 1672 U 767, aut.; TB 76

720706    6 juillet 1672. 1664 [Kr. v1 pp. 472-474]

    ‘I am impatiently waiting, Monsieur, for the religious from Heisterbach who have been at your house, to receive from their hands the evidence that you are sending of your interest in what concerns us. You must believe that we look on that in advance with such appreciation and esteem that we could hardly find anything there to which we would not fully subscribe. Allow me only to say one thing: it seems from the letter you did me the honour of writing that you think we thoroughly approve of the method of using fictions in order to find cause for criticism or humiliation; nothing we do could be further from such a practice. The Greeks used it, but as it is only permissible to those who are incapable of telling a lie, we do not take the liberty of imitating them in that. If you ask me then how we manage to find grounds for reproving persons of virtue, and who consequently fall very rarely into faults which can be corrected, I will say simply that every time I carefully consider the actions of our religious, that is, the best and most edifying actions, I see some defect, and as they are obliged by their status to strive constantly for perfection, that gives me occasion to reprove and humiliate them; that if it should ever happen that their actions were exempt from defects, there are always circumstances to which one can give an unfavourable explanation. You will perhaps say, Monsieur, that things must always be interpreted favourably; to that I will reply that what obliges us to act in that way is charity, and when it is the case that there is more charity in interpreting things against those who do them, and that such an interpretation tends to their advantage and the good of others, not only is there no objection to doing so, but such a practice is even more charitable. That such a useful effect is to be encountered everywhere cannot be doubted; the humiliation inflicted on the person criticised prevents him falling into the self-satisfaction which can arise from the best actions, and which destroy, or at least diminish, their value before God; it avoids the disadvantage charged to it, the brethren profit from the warning and from the virtuous way in which the criticism is endured, and are edified by their superior’s care and strictness. There, Monsieur, you have a great number of good effects, and I do not think there is anything to be set against it, nor that anyone could find in the silence, which some would prefer to observe instead of reprove, anything to balance or remove these advantages.

  J’attends, Monsieur, avec impatience les religieux d’Heisterbach qui ont passé par votre maison, afin de recevoir par leurs mains les marques que vous nous envoyez de la part que vous portez aux choses qui nous touchent. Vous devez croire que nous regardons cela par avance avec tant de ressentiment et d’estime, qu’il est bien difficile que nous y trouvions rien à quoi nous ne souscrivions de tout notre coeur; permettez-moi seulement de vous dire une chose : il semble par la lettre que vous me faites l’honneur de m’écrire que vous avez pensé que nous approuvions fort la manière d’user des fictions afin d’avoir sujet de reprendre et d’humilier; il n’y a rien parmi nous qui soit moins en usage. Les Grecs s’en sont servis, mais comme cela n’est permis qu’à ceux qui sont incapables de tout mensonge, nous n’avons garde de nous donner la liberté de les imiter en cela. Si vous me demandez donc comment nous pouvons faire pour reprendre avec fondement des personnes de grande vertu et qui ne tombent par conséquent que très rarement dans des fautes que l’on puisse corriger, je vous dirai simplement, que je ne m’applique jamais à considérer les actions de nos religieux, je dis les meilleures et les plus édifiantes, que je n’y remarque des défauts, et comme ils sont obligés par leur état de tendre incessamment à la perfection, cela me donne lieu de reprendre et de les humilier; que s’il arrivait que leurs actions fussent excemptes de défauts, il s’y trouve toujours des circonstances auxquelles on peut donner une explication désavantageuse. Vous me direz peut-être, Monsieur, qu’il faut toujours interpréter les choses dans un sens favorable; je vous répondrai à cela que ce qui oblige d’en user ainsi c’est la charité, et quand il se trouve qu’il y a plus de charité à les interpréter contre ceux qui les font, et que cette interprétation tourne à leur avantage et au bien des autres, non seulement il n’y a nul inconvénient de le faire, mais même c’est une conduite pleine de charité d’en user de la sorte ; que cette utilité ne se rencontre de toutes parts, il n’y a pas lieu d’en douter. L’humiliation que l’on fait souffrir à celui que l’on reprend, empêche qu’il ne tombe dans ces complaisances qui naissent dans les meilleures actions, et qui en détruisent, ou au moins en diminuent, le mérite devant Dieu, elles font qu’il évite l’inconvénient dont on l’accuse, les frères profitent de cet avertissement, de la vertu avec laquelle on endure la répréhension, et sont édifiés du soin et de l’exactitude de leur supérieur. Voilà, Monsieur, des biens en grand nombre, et je ne pense pas que l’on puisse rien opposer à cela, ni trouver dans le silence, que l’on voudrait que l’on gardât en la place des répréhensions, de quoi balancer ou emporter toutes ces utilités.

    It is easy to conclude from this that it is more charitable to reprove in the cases indicated than not; I am always supposing, Monsieur, that the persons humiliated profit by it, and that the good is seen to be successfully achieved. I must confess that I find it hard to understand how one can be, I do not say a monk, but truly a Christian, and not love, or at least suffer peaceably and patiently, what humiliates us. Let anyone define for me what it is to be Christ’s disciple and bear that cross without which no one will share in his glory. In truth, Monsieur, unless one pays attention to it, one is only a Christian in theory and idea, and I have seen people, regarded as models of eminent virtue and masters of the spiritual life, who gave lessons on it, whose heads seemed full of all that is greatest and most sublime in mystical theology, and who went into convulsions when something occurred that displeased them or was in any way slighting to them. It does not cost much to talk like Christ, but to behave like him is something else. Yet, Monsieur, it is unfortunately those who do, and not those who talk, whom Christ will count as his own on that day when he will reward not the words and speeches, but the actions and works of men. I am quite sure that those are your views too, and that I am not telling you anything that you did not think more loftily than I could do, for, to speak frankly, I am one of those who speak and do not do, who load others with burdens which they would not want to bear or touch with the tip of their finger. Obtain for me the grace of doing better, I beseech you; I do not doubt that it will be so if you ask God for it as for something that you want him to grant, that is with ardour and perseverance. I expect that help from your charity, and am in Our Lord yours etc.

  Il est aisé de conclure de là qu’il est plus charitable de reprendre dans les cas que je vous marque que de ne pas le faire; je suppose toujours, Monsieur, que les personnes que l’on humilie en profitent, et que l’on voit les biens qui en réussissent. Il faut que je vous avoue que j’ai peine à comprendre que l’on puisse être, je ne dis pas moine, mais véritablement chrétien, et ne pas aimer, ou au moins souffrir en paix et en patience ce qui nous humilie. Que l’on me définisse ce que c’est d’être disciple de Jésus-Christ, et de porter cette croix sans laquelle personne n’aura part à sa gloire. En vérité, si l’on y prend garde on est chrétien en spéculation et en idée, et j’ai vu des gens qui étaient regardés comme des modèles d’éminente vertu, consommés dans la vie spirituelle, qui en faisaient des leçons, dont la tête paraissait pleine de tout ce que la théologie mystique a de plus grand et de plus élevé, qui entraient en convulsions, lorsqu’il se passait quelque chose qui ne leur plaisait pas ou qui allait le moins du monde à leur diminution. Il ne coûte guère de parler comme J.-C., mais de faire comme lui c’est une autre chose. Cependant, Monsieur, par malheur ce sont ceux qui font, et non pas ceux qui disent que J.-C. comptera pour être des siens dans ce jour, auquel il doit récompenser, non pas les paroles ni les discours, mais les actions et les oeuvres des hommes. Je suis très assuré que ce sont là vos sentiments, et que je ne vous dis rien que vous ne pensiez d’une manière beaucoup au-dessus de ce que je puis faire, car, pour vous parler sincèrement, je suis de ceux qui disent et qui ne font pas, et qui chargent les autres de fardeaux qu’ils ne voudraient pas porter ni toucher du bout du doigt. Obtenez-moi !a grâce de mieux faire, je vous en conjure. Je ne doute point que cela ne soit si vous le demandez à Dieu comme une chose que vous voulez qu’il vous accorde, c’est-à-dire avec ardeur et persévérance. J’attends ce secours-là de votre charité. Je suis en N.S.J.C. de toute l’étendue de mon coeur votre très humble et très obéissant serviteur.

PS The good brother Martelot pays attention, he is small-minded and scrupulous, and has never had anything but bad upbringing, but he is beginning to change his ways and principles; he will never be anything very great.’

  — Le bon fr. Martelot fait attention, l’esprit en est petit et scrupuleux, et il n’a jamais eu qu’une très mauvaise éducation ; il commence pourtant à changer de manière et de maximes; ce ne sera jamais un grand personnage.

[R. had f rst made contact with three monks of Heisterbach in May 1672 (720414). They seem to bave been making a tour of reformed houses to see where they might settle down. This letter opened a virulent dispute over fictions. The affair had blown up after a visit paid by Le Roy to la T. in June 1671, when be had first seen an excellent monk (Paul Hardy) humiliated for a trivial (or even imaginary) fault and accept the rebuke serenely. Le Roy charged R. with inventing causes for reproof and as the quarrel became more bitter these so-called fictions soon bulked larger than the actual humiliations. R. was particularly upset by the implicit criticism of St John Climacus, his favourite monastic authority, from whom he derived his practice of humiliations.]

 

 G. LE ROY, HAUTEFONTAINE, 

A G. LE ROY, HAUTEFONTAINE

*720718 18 July 1672U 767 orig.   [answered 21 August]

720718    18 juillet 16 72 1664 [Kr. v1 pp.476-479]

    ‘I do not have the honour, Monsieur, of writing to you with my own hand, because it becomes so bad and my characters so ill-formed that after a page of writing nothing is legible any more.

Je n’ai point l’honneur, Monsieur, de vous écrire de ma main parce qu’elle devient si mauvaise et mon caractère si mal formé qu’après une page d’écriture il n’y a plus rien de lisible.

    I have at last received your dissertation from the hands of those good German monks who arrived here only a few days ago. I have read it carefully; it is learned and scholarly, but allow me to say that it could not be less appropriate to anyone than those for whom you took the trouble to compose it. They fervently profess to be truthful and sincere, and I do not believe that anyone could feel more repugnance and aversion than they do for lies, fictions, and equivocations. They must have explained themselves badly, Monsieur, or you must have misunderstood them, or had unreliable accounts of what goes on in our monastery for you to have attributed to it conduct so contrary to morals, christian piety and the purity of its principles.

J’ai enfin reçu votre dissertation par les mains de ces bons religieux allemands qui sont arrivés ici seulement depuis quelques jours. Je l’ai lue avec application, elle est docte et savante mais permettez-moi de vous dire qu’il n’y a personne à qui elle convienne moins qu’à ceux pour lesquels vous avez pris la peine de la faire. Ils font une très grande profession d’être véritables et sincères, et je ne pense pas que l’on puisse avoir plus d’éloignement et d’aversion qu’ils en ont des mensonges, des fictions et des équivoques. Il faut, Monsieur, qu’ils se soient mal expliqués, ou que vous les ayez mal compris, ou que vous ayez eu des relations peu fidèles de ce qui se passe dans ce monastère, pour lui avoir pu attribuer une conduite si contraire aux bonnes moeurs, à la piété chrétienne, et à la pureté de ses maximes.

    Regarding your views on the use of humiliations, if you had confined yourself to condemning insults, terms offensive to decency and honour, emotional disturbance, and fits of anger, we should share your views, Monsieur. Such manners have never been practised in our house, and we find them as repugnant as lies and fictions, but since you attack even those manners which are brisk and have the asperity deemed necessary to humiliate and confuse, let me tell you that after considering with all possible care your reasons for combating them, despite all the deference I should wish to have for anything coming from you, I have found nothing capable of persuading me, and I have not changed my mind. It is enough to remove any doubts that they come from God and that such a practice is very holy, to see that it accords with the rules of the Gospel, that it was established by so many great saints, who should be regarded as so many masters of monastic life, that it was ordered by our Fathers, St Benedict and St Bernard. It is to them, Monsieur, that we know God spoke; they had a special mission from him to explain his will to us, they have all the qualities needed to command our credence, and it is right that it should be their authority that determines our opinions. Besides I cannot believe that the way you treat the holy Fathers of the East on this point, especially St John Climacus whose authority is so weighty in the church that the most learned men of our day have called him the depository of ecclesiastical tradition, meets with approval from many. I can assure you at least that it will hardly win any here, in a place where his least words and thoughts are respected. I admit, Monsieur, that the way of humiliations and ignominy is a hard one, that few appreciate it or are capable of it, durus est hic sermo, abnega temetipsum (Jn 6:61), but the self-denial without which Christ declares that none can share in his glory has a wide scope and includes some strange things. What St John Chrysostom has told us of it (Homily 56 on St Mark) goes well beyond what can be endured in a monastery where things must be done with charity, discernment, and prudence, yet he is speaking to ordinary Christians and not to monks. Indeed those souls which love Christ and preserve the memory of the humiliations and sufferings of the cross what nothing so ardently as to humiliate themselves and suffer something for love of him; what grieves them is not to find enough chances and means of doing so, and they acquire them as much as they can at every moment of their lives. A monk is very unfortunate if he has any other views, being one who is no longer allowed to have a mediocre love for him by whose grace and for whose love he has ceased loving what he would have been permitted to love if he had remained in the world, Non licet vobis parum amare propter quem non amastis quod liceret (St Augustine) [De virginitate 55]. It is finally the sign with which Christ has marked the elect of the Father and which will distinguish his disciples from those who are not until he comes himself to separate them in the fullness of time. Though these words of St John Climacus are approved by few, they are no less true and holy, ‘that whoever rejects just or unjust humiliations has renounced his salvation’. I accept to the fullest extent the humiliation God sends and embrace with all my heart the hand he has been pleased to use for that purpose. You attribute to us, Monsieur, odious principles and rules of conduct of which we have never thought, and you place at the head of your dissertation a title likely to frighten every man who bears the name of Christian. One must praise Christ for everything. We shall pray him with all possible ardour to give you in this world and the next as much honour and glory as we deserve opprobrium and ignominy. I am in him truly yours’ etc.

 Pour ce qui est des sentiments que vous avez sur l’usage des humiliations, si vous vous étiez restreint à condamner les injures, les termes outrageants, contre la décence et l’honnêteté, les troubles et les mouvements de colère, nous serions, Monsieur, d’un même sentiment. Ces manières-là n’ont jamais été en usage dans notre maison, et nous n’en avons pas moins d’éloignement que des fictions et des mensonges, mais puisque vous attaquez même celles qui sont vives et qui ont la rudesse que l’on juge nécessaire pour humilier et pour confondre, trouvez bon que je vous dise qu’après avoir considéré avec toute l’attention possible les raisons par lesquelles vous les combattez, quelque déférence que je veuille avoir pour ce qui vient de vous, je n’ai rien remarqué qui m’ait pu persuader, et je suis demeuré dans mes premières pensées. Il me suffit pour ne point douter qu’elles ne soient de Dieu et que cette pratique ne soit très sainte, qu’elle soit selon les règles de l’Évangile, qu’elle ait été instituée par tant de grands saints, que l’on doit regarder comme autant de maîtres de la vie monastique, qu’elle ait été commandée par s[ain]t Benoît et par s[ain]t Bernard qui sont nos Pères; c’est à eux, Monsieur, que nous savons que Dieu a parlé, ils ont eu de lui une mission particulière pour nous expliquer ses volontés, ils ont tous les caractères qu’il faut avoir pour trouver de la créance auprès de nous, et il est juste que ce soit leur autorité qui détermine nos sentiments. Au reste je ne peux croire que la manière dont vous traitez les saints Pères de l’Orient sur ce point-là, et particulièrement s[ain]t Jean Climaque dont l’autorité est d’un si grand poids dans l’Église, que les plus savants hommes de notre temps ont appelé le dépositaire de la tradition ecclésiastique, un second s[ain]t Basile pour les règles de la vie spirituelle et religieuse, trouve beaucoup d’approbateurs, au moins je vous assure qu’elle n’en aura guère dans ce lieu ici, où l’on respecte .jusqu’aux moindres de ses paroles et de ses pensées. J’avoue, Monsieur, que la voie des humiliations et des ignominies est dure, que peu de gens la goûtent et en sont capables, durus est hic sermo, abnega temetipsum [Jn 6,61], mais l’abnégation sans laquelle J.-C. déclare que personne n’aura part à sa gloire est d’une grande portée et enferme d’étranges choses, ce que s[ain]t Jean Chrysostome nous en a dit (homil 56 sur St Marc) va bien au-delà de ce que l’on peut souffrir dans un monastère, où les choses doivent se conduire par la charité, le discernement et la prudence, cependant il parle à de simples chrétiens et non pas à des moines. En vérité les âmes qui aiment J.-C. et qui conservent le souvenir des humiliations et des souffrances de la croix ne désirent rien avec tant d’ardeur que de s’humilier et de souffrir quelque chose pour l’amour de lui, leur peine est de n’en pas trouver assez d’occasions et de moyens, et elles se les procurent autant qu’elles le peuvent dans tous les instants de leurs vies. Un moine est bien malheureux s’il a d’autres sentiments, lui à qui il n’est plus permis d’avoir un médiocre amour pour celui par la grâce et pour l’amour duquel il a cessé d’aimer, ce qu’il lui aurait été permis d’aimer s’il fût demeuré dans le monde, Non licet vobis parum amare, propter querra non amastis quod liceret (S[ain]t Aug[ustin]) [De Virginitate, cap. 55]. Enfin c’est le caractère dont J.-C. a marqué les élus de son Père et qui discernera ses disciples de ceux qui ne le sont pas jusqu’à ce qu’il vienne lui-même en faire la séparation dans la consommation des siècles ; ces paroles de s[ain]t Jean Climaque pour n’avoir l’approbation que de peu de personnes n’en sont pas moins véritables et saintes, que celui qui rejette les humiliations justes ou injustes a renoncé à son salut [Échelle, grad. 25]. Je reçois dans toute son étendue celle que Dieu nous envoie et je baise de tout mon coeur la main dont il lui a plu de se servir pour cela. Vous nous attribuez, Monsieur, des maximes et des règles de conduite odieuses et auxquelles nous n’avons jamais pensé, et vous avez mis à la tête de votre dissertation un titre capable de faire peur à tous les hommes qui portera le nom de chrétien. Il faut louer N.S.J.C, de tout. Nous prierons avec toute l’ardeur possible qu’il vous donne dan• l’un et dans l’autre monde autant d’honneur et de gloire que nous méritons d’opprobres et d’ignominies. Je suis en lui ave, toute sorte de vérité votre très humble et très obéissant serviteur.

 

 

[Deaths]

 

RP ABBÉ [? CHATILLON, CLAUDE LE MAITRE]       

Au PÈRE ABBÉ DE [CHÂTILLON, CLAUDE LE MAÎTRE ?]

*830508     TC 11/340    8 May 168 3

830508    8 mai 1683 1664 [Kr. v3, pp. 65-66]

     ‘I know the state of the abbey of N., my dear Father, and although I am full of wonder that so much has been accomplished there in so little time, I cannot help observing considerable faults and sins against principles. Frequent conferences, the private conversations sometimes permitted to the brethren, theological instruction, will all soon cause a weakening of regularity and discipline, and I cannot understand how the conduct of the religious who cannot observe abstinence can be useful, whatever other good qualities he may have. As for telling people now to pray, that seems to me contrary to the Rule, which allows great freedom on that matter and requires us to act according to the way we feel the spirit of God moves us. In short, everyone has his ways of doing things, and blessed is he who has no other ways than those which God has given; to him alone it falls to prescribe the means and rules by which he wishes us to serve him.

  Je connais, mon cher Père, l’état de l’abbaye de N. et quoique j’admire qu’on y ait pu établir tant de bien en si peu de temps, je ne laisse pas d’y remarquer des défauts considérables et qu’on y pèche contre les principes ; les conférences fréquentes, les entretiens particuliers que l’on permet quelquefois aux frères, les instructions théologiques, causeront bientôt l’affaiblissement dans la régularité et dans la discipline, et je ne peux comprendre que la conduite de ce religieux qui ne saurait garder l’abstinence soit utile, quelques bonnes qualités qu’il puisse avoir d’ailleurs. Pour ce qui est d’avertir les gens de prier, cela me paraît contre la Règle, qui laisse en cela une grande liberté et qui veut qu’on le fasse selon que l’on s’y sent porté par le mouvement de l’Esprit de Dieu. Enfin chacun a ses manières, et bienheureux celui qui n’en a point d’autres que celles que Dieu lui a données et auquel il appartient tout seul de prévenir le moyen et les règles par lesquelles il veut qu’on le serve.

    If we had not lost religious through death, we should now have more than sixty, and we should even perhaps still have them if we had relaxed things more than we did and diminished the austerities of our life. In fact they are fortunate in having run their race in strict penitence, and every time I feel inclined to pity them and wish that they had not left us so soon, I resist it as a temptation. God committed them into our hands only so that we should give them back into his. They have consummated their sacrifices, and everything makes us believe that he has received them with pleasure as agreeable offerings. What more can we wish for them? In a word I envy their lot, and would much rather be in their place than in that in which I am.’

Si nous n’avions point perdu de nos religieux morts, nous en aurions plus de soixante, et même nous les aurions peut-être encore si nous avions lâché la main plus que nous n’avons pas fait et que nous eussions diminué les austérités de la vie. Mais en vérité ils sont bienheureux d’avoir fini leur course dans une pénitence exacte, et toutes les fois que je me trouve dans quelque disposition de les plaindre et de désirer qu’ils ne nous eussent pas quitté si tôt qu’ils ont fait, je la combats comme une tentation. Dieu ne les avait mis dans nos mains que pour les lui remettre dans les siennes. Ils ont consommé leur sacrifice, toutes les apparences nous font croire que Dieu les a reçus avec agrément comme des hosties de bénédiction ; que pourrions-nous leur souhaiter davantage ? En un mot j’envie leur sort, et j’aimerais beaucoup mieux être en leur place que non pas dans celle où je me trouve.

     This letter is almost certainly to the Abbot of Cbâtillon, with whom R. bad previously discussed life in other bouses. The abbey referred to is almost certainly Orval, where reform was now fully under way, but where R. bad earlier worried about the points here mentioned.

 

[perseverance in pastoral work]

 

BISHOP OF LUÇON [HENRI BARILLON] 13 June 1683

A L’EVEQUE DE LUÇON [HENRI BARILLON1

*830613     TB/I 177; F. f.609 (wrongly dated 1673)

830613    13 juin, 1(os [Kr. v3, pp. 75-77]

     ‘It is true, Mgr, that we have had no news of you for a long time and I assure you that I should often have sought news were I not prevented by the respect I have for your occupations. I know that you do not have a moment to spare, that your love for the things you ought to love multiplies your duties and that time seems short to you when you think of the greatness and extent of your ministry. You remind me of a prelate of whom I cannot think without grief, who would say without shame or scruple as he went off to his diocese: ‘Oh how bored I am going to be!’ How pitiful is a man who finds himself in such a state of blindness without recognising it, and how deserving one is before men as before God when one sets oneself the aim above all of fulfilling one’s obligations.

  Il est vrai, Monseigneur, qu’il y a longtemps que l’on n’a eu de vos nouvelles, et je vous assure que je vous en aurais mandé bien des fois si le respect que j’ai pour vos occupations ne m’en avait empêché. Je sais que vous n’avez point de moment à perdre, que l’amour que vous avez pour ce que vous devez aimer multiplie vos devoirs, et que le temps vous paraît court lorsque vous pensez à la grandeur et à l’étendue de votre ministère. Vous me faites souvenir d’un prélat auquel je ne puis penser sans douleur, qui disait sans honte et sans scrupule, en s’en allant dans son diocèse : « Ah, que je vais m’ennuyer ! Qu’on est à plaindre lorsqu’on est dans un si grand engagement sans le connaître, et qu’on a de mérite devant les hommes aussi bien que devant Dieu lorsqu’on fait son soin principal d’en remplir les obligations !

It is true that these are countless, and that strictly speaking they grow in proportion to one’s application to them. […]

Il est vrai qu’elles sont sans nombre, et à proprement parler qu’elles croissent à mesure qu’on s’applique. […]

Never tire of working, and God will not tire of looking upon your solicitude with the eyes of compassion. Nothing more effectively elicits and influences his goodness than our perseverance, and his hands are always open upon the fidelity of those who serve him.

Ne vous lassez point de travailler, et il ne se lassera point de regarder votre sollicitude des yeux de sa compassion. Rien ne presse et ne sollicite davantage sa bonté que notre persévérance, et ses mains sont toujours ouvertes sur la fidélité de ceux qui le servent.

How could you not complain, Mgr, of the distractions that come upon you in your activities, when the holy apostle himself groaned at those he found in exercising his apostolate, and confesses that he did not do all the good he wished to do? Men are men and not angels.

Comment vous ne plaindriez pas, Monseigneur, de la dissipation qui vous arrive dans vos emplois puisque le saint Apôtre lui-même soupirait de celles qu’il rencontrait dans les fonctions de son apostolat et qu’il avoue qu’il ne faisait pas tout le bien qu’il voulait faire. Les hommes sont les hommes, et ne sont pas des anges ;

Their strength has limits, and none has ever been seen sufficiently master of his mind and imagination to admit and retain there only those thoughts which he wished to have. Ideas about the business with which one is dealing keep coming back with importunity, and God wishes it to be so, so that we should bear and feel the full weight of our feebleness, and have reason continually to ask of him protection and strength. […]

leurs puissances ont des bornes, et on n’en a point vu qui fussent assez maîtres de leur esprit et de leur imagination pour n’y admettre et n’y conserver que les pensées qu’ils voulaient qui y fussent. Les idées des affaires qu’on traite reviennent avec importunité, et Dieu veut que cela soit ainsi propre, afin qu’on porte et qu’on ressente le poids de sa faiblesse et qu’on ait un perpétuel sujet de lui demander de la protection et de la force. […]

Please believe that you are always present in my mind, that all your interests affect me keenly and that it is not possible to add to the affection and respect with which I am yours’ etc. […]

faites-moi l’honneur de croire que votre personne m’est trop présente, que tout ce qui vous regarde me touche d’une manière tout à fait sensible, et qu’on ne peut rien ajouter à la tendresse et au respect que j’ai pour vous. […]

 

 

[Conferences and Disease at La Trappe]

 

RELIGIEUSE

A UNE RELIGIEUSE

* 850624a    24 June 1685[TC 1/98]

850624 a 241001 /6. [Kr. v3, pp. 275-277]

    ‘You have only to follow, Sister, the enlightenment and feelings God gives you to avoid anything contrary to his will and the duties of your profession. It is an important point that you are persuaded, as you are, that it is useful to keep silence with creatures, for since that is so you will avoid many occasions for breaking it, and when you are obliged by necessity to dispense yourself from silence, God, seeing the disposition of your heart, will preserve you from the misfortunes into which all those fall who talk because they like talking and do not know how to keep quiet. However you must remember that if you fall short of the strict rule you have prescribed for yourself on this matter, you must begin again with more care and vigilance. That is the fruit we must reap from our faults and failures, and God only permits them in persons who serve him and desire as much as you do to belong to him in order to make them better and more faithful. It is important, when the question arises of admitting or refusing entry to monasteries, to suspend prejudice and impulsive feelings and to ask God for sufficient light to avoid mistakes. Otherwise one risks excluding those whom he has called and receiving those whom he has rejected. Each of these ills is as bad as the other.

  Vous n’avez qu’à suivre, ma soeur, les lumières et les sentiments que Dieu vous donne pour ne rien faire qui ne soit selon sa volonté et selon les devoirs de votre profession. C’est un grand point que vous soyez persuadée, comme vous l’êtes, de l’utilité qu’il y a de garder le silence avec les créatures, car cela étant vous éviterez bien des occasions de le rompre, et quand la nécessité vous obligera de vous en dispenser, Dieu qui verra la disposition de votre coeur vous garantira des inconvénients où tombent toutes les personnes qui parlent parce qu’elles aiment à parler et qu’elles ne sauraient se taire. Cependant souvenez-vous qu’au cas que vous manquiez en ce point à l’exactitude que vous vous serez prescrite, il faut vous relever et en devenir plus soigneuse et plus vigilante. C’est le fruit que nous devons tirer de nos défauts et de nos chutes, et Dieu ne les permet dans les personnes qui le servent et qui ont autant envie d’être à lui que vous en avez, que pour les rendre et meilleures et plus fidèles. Il est important quand il est question d’admettre ou de refuser dans les monastères de suspendre la prévention et la vivacité de l’esprit, et de demander à Dieu la lumière pour ne se pas mécompter. Car sans cela on s’expose à exclure ce qu’il appelle ou à recevoir ce qu’il a rejeté. L’un de ces maux n’est pas moins considérable que l’autre.

    I will not say anything positive yet about your abstinence, but when you begin to observe it without the addition of fasting, you will realise what you are able to do much better than if you were to go too far to begin with. However much one trusts in God’s protection and help, he often wishes us to be moderate in our conduct and not rush straightaway into what is most difficult, but to go there by degrees. There is even more humility in acting like that.

  Je ne vous dirai rien encore de positif sur votre abstinence. Mais quand vous commencerez à la garder sans y ajouter le jeûne, vous vous apercevrez de ce que vous pourrez faire beaucoup mieux que si d’abord vous alliez trop loin. Dieu veut souvent, quelque grande que soit la confiance qu’on a dans sa protection et dans son secours, que l’on garde des mesures dans sa conduite, et qu’on ne se porte pas tout d’un coup à ce qui est de plus difficile, mais qu’on y aille par degrés. Il y a même plus d’humilité d’en user de la sorte.

    It is a considerable achievement, Sister, to have made a doctor understand that Christ’s grace is a great remedy for bodily as for spiritual sickness. One must certainly avoid extremes, but there are things which those who are consecrated to God can and should practice, and which are unknown, and always will be, to people in the world.

  Vous avez fait une grande chose, ma soeur, d’avoir fait comprendre à un médecin que la grâce de Jésus Christ est un grand remède pour les maladies du corps comme pour celles de l’esprit. Il est certain qu’il faut éviter les extrémités, mais il y a des choses que les gens consacrés à Dieu peuvent et doivent pratiquer, qui ne sont point connues et ne le seront jamais des gens du monde.

    What I said about the detachment in which a religious should live I said as something real, and proposed it as his chief obligation. He must strive for it according to all the strength and grace God gives him, keep it before his eyes as much as he can and use the means prescribed by the rule to rise to it. Thus this point must not be regarded as a mere idea or speculation, but as an essential duty to which one must adhere if one wishes to follow God’s designs and live according to the truth of one’s state.

  Ce que j’ai dit du détachement dans lequel un religieux doit vivre, je l’ai dit comme une réalité et je l’ai proposé comme son obligation principale. Il doit y tendre selon toute la force et toute la grâce que Dieu lui donne, l’avoir devant les yeux autant qu’il peut et se servir pour s’y élever des moyens que la règle lui prescrit. Ainsi il ne faut pas considérer ce point-là comme une simple idée et une spéculation mais comme un devoir essentiel, auquel il est nécessaire de s’attacher si on veut suivre les desseins de Dieu et vivre selon la vérité de son état.

    In reply to your question, I will tell you what you know very well, namely, that God leads souls by ways which are very different and sometimes even contrary. We see some people embrace the most arduous and laborious exercises of the solitary life with faith and such ardent zeal that they find nothing to arrest them, or even cause them the slightest trouble. Their yoke in no way weighs upon them, and it can be said that the cross they bear offers only consolation. There are others who constantly row against the violence of the current, to whom everything seems hard, who walk, to speak exactly, through thorns and brambles, and advance only through the violence of their efforts. Those please God best and offer him the most acceptable sacrifice not who suffer least or who suffer most, but who serve him with most love and charity. For charity alone sets the price and value of all our actions.

  Je vous dirai sur la question que vous me faites ce que vous savez très bien, qui est que Dieu conduit les âmes par des voies bien différentes, et quelquefois toutes contraires. Nous en voyons qui embrassent les exercices de la vie solitaire les plus pénibles et les plus laborieuses avec une foi et un zèle si ardent qu’ils n’y trouvent rien non seulement qui les arrête, mais qui leur donne la moindre peine. Le joug n’a rien de pesant pour eux, et il se peut dire que la croix dont ils se chargent n’a que des consolations. Il y en a d’autres qui rament continuellement contre l’impétuosité du torrent, à qui tout paraît dur, qui marchent, à proprement parler, parmi les ronces et les épines, et qui n’avancent que par la violence de leurs efforts, et ceux-là plaisent davantage à Dieu et lui offrent le sacrifice le plus agréable, non pas qui souffrent le moins ou qui souffrent le plus, mais qui le servent avec plus d’amour et plus de charité. Car c’est elle seule qui met le prix et la valeur à toutes nos actions.

    Our brothers, since you ask, employ all the morning hours of days when they do not work in prayer and reading, and after dinner on Sundays they have a conference lasting a good hour, at which I never fail to be present, and during which five or six of them speak in succession. The subject under discussion invariably concerns matters regarding our profession and those most real to us. When a festival falls in midweek the procedure is just like that of Sunday.

  Nos frères, puisque vous le voulez savoir, emploient toutes les matinées des jours qu’ils ne travaillent point à la prière ou à la lecture et les après-dînées du dimanche ils ont une conférence d’une grande heure, à laquelle je ne manque jamais de me trouver, pendant laquelle il y en a cinq ou six qui parlent les uns après les autres. Et le sujet de l’entretien n’est jamais que des choses de notre profession et des plus effectives. S’il y a une fête dans le milieu de la semaine on fait tout comme le dimanche.

    It is true in the nearly twenty-four years that we have been established here many of our religious have died, but this is attributable not so much to the austerity we practise as to the situation of the place. Our monastery lies between nine or ten lakes, surrounded by forests on every side, and there is scarcely a day in the year so bright and calm that there is no mist. The winds which come to us along the lakes and woods bring harmful and penetrating cold and damp, which affect the body adversely, and since we do not have here any of those recreations and enjoyments which dispel the humours which may have been contracted in the calm of solitude, our health is certainly more under attack and liable to be compromised than it would be elsewhere. Thus we find ourselves following exactly the intentions of our fathers who, as St Bernard says, chose damp, low-lying valleys to build their houses in, so that having no assurance of good health, they should have good reason to be constantly occupied with thoughts of death. Add to that the fact that we have accepted men of advanced age, poor health and delicate constitution, and you will not be surprised at the number of monks we have lost, nor above all at the pressing prayer of nearly all of them that Our Lord will take them out of this world before he takes me. Death, when it comes, has nothing hard for those who are accustomed to have it before their eyes, and it keeps all its bitterness for those who have thought only of living. It is enough to appreciate properly the thought of death to know that the Holy Spirit declared that the way to do no sin is to have that thought ever present.’

Il est vrai que depuis tantôt 24 ans que nous sommes établis,- ici il y est mort beaucoup de nos religieux, ce qu’il faut mon, attribuer à l’austérité qui s’y pratique qu’à la situation du lier Notre monastère est placé entre neuf ou dix étangs et , ronfle de forêts de tous côtés, et il n’y a guère de jour dansnec, si clair et si serein qu’on n’y voie des brouillards. Les vents. qui nous viennent le long des bois et des étangs nous apportent des froideurs et des humidités malignes et pénétrantes qui font sur les corps des impressions fâcheuses, et comme on n’a point ici de ces récréations et de ces réjouissances qui dissipent les humeurs qu’on pourrait avoir contractés dans le repos de la solitude, la santé est assurément plus attaquée et plus altérée qu’elle ne serait ailleurs. Ainsi nous nous trouvons précisément dans le dessein de nos pères qui ont choisi, comme dit saint Bernard [Ep. 491], des vallées basses et humides pour bâtir leurs maisons, afin que n’ayant point de santé assurée, ils eussent une raison de s’occuper incessamment à la pensée de la mort. Si l’on joint à cela que nous avons reçu des gens d’un âge avancé, d’une santé mauvaise et d’une complexion délicate, on ne s’étonnera point de la quantité de religieux que nous avons perdue, et, par-dessus tout, la prière instante qu’ils font presque tous à Notre Seigneur de les retirer de ce monde avant qu’il m’en retire moi-même. La mort, quand elle arrive, n’a rien de dur pour ceux qui se sont accoutumés à l’avoir devant les yeux et toute son amertume elle la garde à ceux qui n’ont pensé qu’à vivre. Il suffit pour faire cas de la pensée de la mort de savoir que l’Esprit de Dieu a déclaré que le moyen de ne point pécher est de l’avoir présente.

[Anxiety re. Mabillon]

 

To the BISHOP of LUÇON [HENRI BARILLON]   

A L’ÉVÊQUE DE LUÇON [HENRI BARILLON]

*920619 19 [June]1692 P f.638 (wrongly dated January).

920619 19 ‘juin’ 1692 [Kr. v4 pp. 186-188]

I CONFESS, Mgr, that I am most mortified by the fact that although you were one of the first persons I had in mind when I gave orders for distributing my Réponse to dom Mabillon, you should turn out to have had to wait nearly three months to have it. Cardinal Le Camus tells me that I have fully proved that the monks of old did not include study among the exercises which were suitable for monks and solitaries, although some of them were scholars, as I agreed myself, but he says that they can now be given such an occupation, since it is no longer possible to make them go back to their original sanctity, but he maintains that it must be the sort of study which cannot distract them from the piety in which they are obliged to live, and that they must spend their lives in study and prayer; that is something it would be hard to combine, if by study is meant deep learning.

  Je vous avoue, Monseigneur, que ce m’est une mortification sensible de ce qu’étant une des premières personnes que j’ai eues en vue lorsque j’ai donné ordre qu’on distribuât la réponse au Père Mabillon] il se trouve que vous avez été près de trois mois sans l’avoir. M. le cardinal le Camus me mande que j’ai parfaitement prouvé que les anciens moines n’ont point mis l’étude entre les exercices qui fussent propres aux moines et aux solitaires, quoiqu’il y en ait eu de savants. comme j’en suis convenu moi-même, mais il dit qu’on pourrait présentement leur donner cette occupation, n’étant pas possible de les faire remonter à la sainteté première, mais il veut que ce soit une étude qui ne puisse les distraire de la piété dans laquelle ils sont obligés de vivre et qu’ils passent leur vie dans l’étude et dans la prière ; c’est ce qu’on alliera difficilement si par le mot d’étude on entend les grandes sciences.

    He also tells me that having learned that the religious of Saint-Maur were complaining, he read with care all the passages which might concern them and did not find one which was not written with all necessary moderation and discretion.

  Il me mande encore que sur ce qu’il a su que les religieux de Saint-Maur se plaignaient, il avait lu avec soin tous les endroits qui pouvaient les regarder, il n’en avait trouvé un seul qui ne fût écrit avec toute la modération et les ménagements nécessaires.

    The view of all those who are not prejudiced is that what I have said is decisive. Dom M[abillon] is still going to reply, and no one doubts that it is at the urging of his fathers; as for me, I have resolved to keep silent.

  Le sentiment de tous les gens qui ne sont point prévenus est que ce que j’ai dit est décisif. Le Père Mabillon] ne laisse pas d’y répondre et on ne doute point que ce ne soit à la sollicitation de ses pères ; pour moi j’ai résolu de garder le silence.

    It is true that the son of the Bishop of Lescar has made his profession. The time for that of Monsieur de Santena is approaching. So far no one could have a better spiritual attitude than he has, and I hope that God will give him grace to complete the work he has begun.

  Il est vrai que le fils de M. de Lescar a fait sa profession. Le temps de celle de M. de Santena approche. Jusqu’ici on ne peut pas avoir de meilleures dispositions que celles qu’il a, et j’espère que Dieu lui donnera la grâce d’achever l’oeuvre qu’il a commencé.

    You have heard the fate of the fleet. It is clear that the counsels of men are not those of God. We must adore them just as they are; he is master, he decides everything in absolute fashion. However, it is a consolation for us to know that the vessels of the King all together make up a considerable fleet, which prevents the enemy from undertaking anything. His Majesty is victorious in Flanders, and he captures towns under the eyes of the Prince of Orange, who can do nothing to stop him. The fire that took place in the citadel of Turin, which burned all the bombs and grenades that the Duke of Savoy had been able to collect for his enterprise, nullifies all his plans. You will be surprised, Mgr, that I talk to you of the news. I confess that current events impress me so strongly that that is what I most think about before God. The truth is that when God has restored peace to all of Europe, and when the King’s arms are, as I hope, triumphant from the protection given by God, then I shall gladly return to the state of ignorance in which I was before the recent upheavals.

  Vous avez su le sort de l’armée navale. Il paraît bien que les conseils des hommes souvent ne sont pas ceux de Dieu. Il faut les adorer quels qu’ils soient ; il est le maître, c’est lui qui décide de tout d’une manière absolue. Cependant ce nous est une consolation de savoir que les vaisseaux du Roi rassemblés font une flotte considérable, qui met les ennemis hors d’état de rien entreprendre. Sa Majesté est victorieuse en Flandre, elle prend des villes à la vue du Prince d’Orange sans qu’il puisse l’en empêcher. L’incendie arrivé dans la citadelle de Turin, qui a brûlé tout ce que le duc de Savoie avait pu amasser de grenades, de bombes pour les entreprises qu’il avait formées rend tous ses projets inutiles. Vous serez surpris, Monseigneur, que je vous parle de nouvelles. Je vous avoue que les affaires présentes font sur moi des impressions si fortes qu’il n’y a rien à quoi je pense davantage devant Dieu. La vérité est que quand Dieu aura rendu la paix à toute l’Europe, et que les armes du Roi seront triomphantes comme je l espère de la protection qu’il leur donnera, je rentrerai avec plaisir dans l’ignorance ou j’étais avant ces derniers mouvements.

    I pray God, Mgr, to go on supporting you in the functions of your ministry, to give you the health you need, and to bless your resolution to make a general retreat. I am with a devotion and respect too tender and profound to be expressed yours’ etc.

  Je prie Dieu, Monseigneur, qu’il continue de vous soutenir dans les fonctions de votre ministère, qu’il vous donne toute la santé dont vous avez besoin, et qu’il bénisse la résolution où vous êtes de faire faire une retraite générale à tous les curés de votre diocèse. Je suis avec un attachement et un respect trop tendre et trop profond pour vous le pouvoir exprimer, votre très humble et très obéissant serviteur.

     The three month delay in sending the Réponse dates this letter in June. On Lescar see 920303. Santena was professed in July as ft Palémon. The French fleet bad been defeated off Cap de la Hougue on 29 May. Duke Victor-Amadeus II of Savoy had joined the Grand Alliance with Spain against France in 1690. The fire in the arsenal in his capital, Turin, was disastrous and apparently accidental. In the Low Countries the French were doing well; the siege of Namur was a good augury.

 

[Mabillon’s Visit]

 

*930527 BISHOP OF LUÇON [HENRI BARILLON]    27 May 1693

A L’ÉVÊQUE DE LUÇON [HENRI BARILON]

P f.642

930527    27 mat /693 [Kr. v4 pp. 252-253]

    ‘I was sure, Mgr, that you would approve all my views on the subject of the unreformed Benedictines. A religious cannot be saved without keeping his Rule, and although he may not observe it in every detail, since the Church has granted some dispensations, he must discharge the main points; that is something on which everyone must agree if they judge according to genuine principles.

  J’ai bien cru, Monseigneur, que vous approuveriez toutes mes pensées sur le sujet des anciens bénédictins. Un religieux ne se sauve point sans garder sa règle, et quoiqu’il puisse ne pas l’observer dans tous ses points, l’Église lui en ayant accordé quelques dispenses, il faut cependant qu’il s’en acquitte dans les principaux, c’est de quoi il faut que tout le monde convienne, quand on jugera les choses par les véritables principes.

    I praise God, Mgr, that your visits have gone off successfully and that your health did not suffer; God, who presides over all things, has preserved it for you.

  Je loue Dieu, Monseigneur, de ce que vos visites se sont heureusement passées et que votre santé n’en a eu aucune atteinte ; Dieu qui préside à tout vous l’a conservée.

    I will say nothing of Father du Vernay, except that he was commended to me by a religious who is one of my close friends, who assures me both regarding his virtue and ability and takes the responsibility of saying that he will give satisfaction. It is with that reference that I took the liberty of commending him to you.

  Je ne vous dirai rien du Père du Vernay, sinon qu’il m’a été recommandé par un religieux de mes amis particuliers, qui m’assure de sa vertu et de sa capacité tout ensemble et qui me répond qu’on sera satisfait de lui. C’est sur ce témoignage-là que j’ai pris la liberté de vous le recommander.

    I do not doubt, Mgr, that you are moved by the misery of the people, so great and universal that people are reduced to the most extreme need. I do not know what will happen unless God has pity on the world.

  Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne soyez touché des misères publiques, elles sont si grandes et si générales, que les peuples sont dans la dernière extrémité. Je ne sais ce qu’on deviendra si Dieu n’a pitié du monde.

    As for Cardinal Le Camus, I do not at present have any news about him. He is left where he is and it is most unlikely that he will move. As for me, Mgr, I am still afflicted with my usual trouble, and have much difficulty walking. As for hoping to see me improve, my age and the climate of this place prevent me having such hopes. The main thing is to worship God’s designs, and accept all that happens to us on earth as coming from his hand. Sickness, health, death, and life are equal so long as one is perfectly submissive to the orders of his providence, and can say a heartfelt non contradicam sermonibus Sancti [Jb 6:10]. I ask you, Mgr, for your blessing and the aid of your prayers, assuring you that no one in the world could be with more attachment, affection and respect than I yours etc.

  Pour M. le cardinal le Camus, je n’entends point parler de lui présentement. On le laisse où il est et il n’y a point d’apparence qu’il en sorte. Pour moi, Monseigneur, je suis toujours accablé de mes incommodités accoutumées, je marche avec beaucoup de peine. D’espérance de me voir en un meilleur état, mon âge et l’air où nous vivons m’empêchent de l’avoir. Le principal est d’adorer les desseins de Dieu, et de recevoir tout ce qui nous arrive ici-bas comme nous venant de sa main. La maladie, la santé, la mort et la vie sont choses égales pourvu qu’on soit parfaitement soumis aux ordres de sa providence, et qu’on puisse dire du fond de son coeur, non contradicam sermonibus sancti ph 6,101. Je vous demande, Monseigneur, votre bénédiction et le secours de vos prières, en vous protestant que qui que ce soit au monde ne peut être avec plus d’attachement,

PS For the rest, Mgr, I have some news for you: dom Mabillon has been to see me; I embraced him very cordially, and for his part he acted towards me in the most charitable way possible. Thus we feel towards one another as God wants us to feel. He is a religious of certainly great merit, who combines profound humility with great learning.’

Au reste, Monseigneur, je vous dirai une nouvelle ; le Père Mabillon m’est venu voir ; je l’ai embrassé très cordialemen; et lui de son côté m’a témoigné les dispositions du monde le plus charitables. Ainsi nous sommes l’un à l’égard de l’autre dans toutes les dispositions où Dieu veut que nous soyons C’est un religieux qui a assurément beaucoup de mérite, et qui joint une humilité profonde à une grande érudition.

 

 

 

 


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